Le 1 juillet le général Montcalm se porta en avant, échelonnant ses troupes depuis le fort Carillon jusqu'au pied du lac St. – Sacrement, afin d'en imposer à l'ennemi, et de s'opposer à son débarquement s'il se présentait une occasion favorable de le faire avec quelque chance de succès.
Dans le même temps (5 juillet) celui-ci s'embarquait à la tête du lac St. – Sacrement sur 900 berges et 135 bateaux; et, précédé par de nombreux radeaux garnis de canons, nouvelle espèce de batteries flottantes, il commença à le descendre. «Le ciel était extrêmement pur, dit le Dr Dwight, et le temps superbe; la flotte avançait avec une exacte régularité au son d'une belle musique guerrière. Les drapeaux flottaient étincelans aux rayons du soleil, et l'anticipation d'un triomphe futur brillait dans tous les yeux. Le Ciel, la terre, et tout ce qui nous environnait présentaient un spectacle enchanteur. Le soleil, depuis qu'il brillait dans les cieux, avait rarement éclairé autant de beauté et de magnificence.» Ces fiers ennemis ne songeaient guère alors dans leur admiration qu'avant quatre jours ils remonteraient le même lac remplis d'épouvante, et comme une troupe fugitive.
L'avant-garde, forte de 6,000 hommes, commandée par lord Howe, atteignit le pied du lac le 6 au matin, et débarqua au Camp-Brûlé. M. de Bourlamarque se replia à son approche à la Chute, où était le général Montcalm, après avoir attendu vainement M. de Trépézée qu'il avait détaché en avant en observation sur la Mqntagne-Pelée avec 300 hommes. Cet officier, voyant paraître les ennemis, voulut rejoindre M. de Bourlamarque, mais s'étant égaré, dans les bois, il perdit du temps, et au lieu de trouver les Français là où il les avait laissés, il se vit tout-à-coup cerné par l'avant-garde ennemie, qui l'attaqua sans lui donner le temps de se reconnaître, et tua, prit ou noya les deux tiers de son détachement. L'autre tiers qui, formait son arrière-garde et qui avait pris une autre route parvint, le 7, sans mésaventure à la Chute, où M. de Trépézée fut apporté blessé mortellement avec un autre officier. C'est dans cette escarmouche que fut tué lord Howe, jeune officier anglais plein d'espérance, et dont ses compatriotes regrettèrent vivement la perte.
Les desseins et la force de l'ennemi étant maintenant pleinement connus, le général Montcalm fit lever le camp de la Chute, et sous la protection des troupes de la colonie et de 4 à 5 cents Canadiens qui venaient d'arriver, il défila, vers les hauteurs de Carillon qu'il avait choisies pour livrer bataille, étant décidé quelle que fût la disproportion des deux armées, de ne point abandonner l'entrée du Canada sans combattre. Il avait d'abord paru incliner pour St. – Frédéric; mais M. de Lotbinière, qu'il consulta, et qui connaissait très bien le pays, avait recommandé les hauteurs de Carillon que les ennemis, suivant lui, ne pourraient passer tant qu'elles, seraient occupées, et qu'il était facile de fortifier par des retranchemens sous le canon du fort; tandis que les travaux qu'il faudrait faire pour se couvrir à St. – Frédéric, prendraient deux mois, et que d'ailleurs Carillon passé, l'ennemî pourrait descendre le lac Champlain et laisser cette place derrière lui. Le général, sentant la force de ces raisons, arrivé sur ces hauteurs devenues si célèbres, fit cesser le mouvement rétrograde des troupes, et leur donna ordre de prendre position en avant du fort, et de s'y retrancher.
Les hauteurs de Carillon se trouvent dans l'angle formé par la déchargé du lac St. – Sacrement nommée rivière à la Chute, et le lac Champlain dans lequel elle va se jeter. Ces buttes du reste, peu élevées, et qui ont leur point culminant au sommet de l'angle même, s'abaissent en en gagnant la base, se terminant en pente douce avant d'arriver au lac Champlain, et en pente plus abrupte du côté de la rivière à la Chute, sur le bord de laquelle règne un petit fond d'environ 25 toises de largeur. Dans le fond de l'angle, sur le bord de l'escarpement, il y avait une petite redoute dont le feu rayonnait sur le lac et la rivière, et enfilait la pente du terrain le long de ce cours d'eau. Cette redoute se reliait, par un parapet, au fort Carillon dont on voit encore des ruines, et qui, pouvant contenir 3 ou 4 cents hommes, se trouvait placé dans le milieu de l'angle et dominait le centre et la droite du plateau, ainsi que la plaine au pied du côté du lac Champlain et de la rivière St. – Frédéric. L'armée passa la nuit du 6 au 7 au bivouac. Les feux de l'ennemi indiquaient qu'il était en force au portage. Les retranchemens formés par angles entrans et sortans, commencés le 6 au soir et continués le 7 avec la plus grande activité, prenaient au fort, suivaient quelque temps la crête des hauteurs du côté de la rivière à la Chute, puis tournaient à droite pour traverser l'angle à sa base, en suivant les sinuosités d'une gorge à double rampe peu profonde qui traverse le plateau, et enfin descendaient dans le bas fond qui s'étend jusqu'au lac. Ces retranchemens pouvaient avoir 600 verges de développement, et 5 pieds de hauteur; ils étaient formés d'arbres ronds posés les uns contre les autres, avec les grosses branches coupées en pointes placées en avant en manière de chevaux de frise. Chaque bataillon, ayant en arrivant pris la place qu'il devait occuper dans l'action, faisait la partie du retranchement destinée à le protéger. Tout le monde travaillait avec une ardeur incroyable. Les Canadiens n'ayant pu recevoir de haches plus tôt, ne commencèrent leur abattis, dans le bas fond du côté du lac Champlain où leur position fut marquée, que dans l'après-midi; ils l'achevèrent le lendemain au milieu du jour au moment où les Anglais paraissaient. Le pays en avant étant couvert de bois, le général Montcalm fit abattre les arbres jusqu'à une certaine distance, afin de voir déboucher les assaillans à découvert et de plus loin.
Dans le même temps le général Abercromby avait débarqué avec toute son armée. Ayant appris par des prisonniers que les Français se retranchaient pour attendre un renfort de 3,000 hommes que devait leur amener le chevalier de Levis, il décida de les attaquer avant la jonction de ce corps; et sur le rapport d'un ingénieur envoyé en reconnaissance, que leurs