Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 2. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
mon regard se glissa dans la chambre. Les rayons de la lune tombaient d'aplomb sur les deux petits lits blancs, qui étaient vides.»

      – Est-ce tout?.. demanda Étienne, tandis que Roger passait le revers de sa main sur son front où perlaient des gouttes de sueur.

      – Si c'est tout!.. murmura Roger; mais que veux-tu de plus?

      – Je crois en elles… dit le peintre.

      – Moi aussi! moi aussi! s'écria Roger; je crois en elle… Je l'aime tant!.. Quand je la vois sourire à mes côtés, je ne doute plus… Il me semble que j'ai fait un rêve douloureux et impossible… Mais quand je me retrouve seul, face à face avec moi-même, je me souviens, et je souffre!.. Bien des fois j'ai été sur le point de parler et d'implorer une explication… mais elle paraissait me deviner… Son regard souriait, se reposait sur moi si calme et si pur!.. Je sais bien que je n'oserai jamais l'interroger!

      Tout en causant, ils marchaient le long des allées du jardin. Ils s'éloignaient d'instinct du salon de verdure, où les hôtes de Penhoël étaient toujours rassemblés. Roger allait la tête basse et l'air consterné; Étienne portait sur son visage qui voulait sourire les traces d'une émotion contenue. Peut-être se faisait-il plus fort qu'il ne l'était réellement.

      – Ce que tu as vu est étrange, dit-il enfin, ce que j'ai vu est plus étrange encore… Ce mystère qui les entoure, j'aurais pu le percer peut-être… mais je ne l'ai pas voulu… Moi aussi, j'ai rencontré une fois Diane et Cyprienne dans les corridors du manoir au milieu de la nuit… J'étais caché par la saillie d'une embrasure: elles ne m'apercevaient point… Je les vis traverser sans bruit la galerie… Elles dépassèrent ta chambre, la chambre de Penhoël, et je crus qu'elles allaient entrer chez Madame… Mais elles dépassèrent aussi la porte de Madame… Il n'y a rien au delà, sinon l'appartement occupé par M. Robert de Blois.

      – C'était chez lui qu'elles se rendaient?.. demanda Roger vivement.

      – Je ne sais… répliqua le peintre. La galerie fait un coude… Elles disparurent.

      – Et tu ne les suivis pas?..

      – Je ne les suivis pas.

      – Ce Robert, qu'elles font semblant de mépriser et de détester! murmura Roger de Launoy.

      – Elles méprisent aussi, elles détestent les deux Pontalès, dit Étienne dont la voix baissa involontairement, et pourtant je les ai vues s'introduire au château après minuit sonné!

      – Au château de Pontalès?.. s'écria Roger stupéfait.

      – Au château de Pontalès… La nuit était sombre, cette fois, et je ne les aurais pas reconnues si je n'avais entendu la douce voix de Diane sur la lisière de la forêt.

      « – Aide-moi, disait-elle.

      «Elles s'approchèrent toutes deux de la muraille du parc. Cyprienne s'appuya des deux mains contre le mur, et, avec son secours, Diane franchit la clôture.»

      – Après?.. fit Roger, dont le souffle haletait.

      – Je revenais de la Gacilly, à cheval, répliqua le peintre, mon cœur battait et mon front brûlait… Mais je ne suis pas comme toi, Roger, et je n'aurais jamais ouvert la porte de la chambre des filles de Jean de Penhoël… J'enfonçai les éperons dans le ventre de mon cheval, qui m'emporta au travers des taillis…

      – Oh!.. fit Roger; tu n'aimes pas! tu n'aimes pas!

      – Si Diane de Penhoël n'est pas ma femme, répliqua le peintre, je ne me marierai jamais… Il ne m'arrivait pas souvent autrefois de songer à l'avenir… maintenant j'y pense toujours, parce que l'avenir, c'est elle… Tu es rassuré quand tu les vois sourire, Roger; moi, si un doute pouvait me venir, il me viendrait en ces moments… Mais que de fois, parmi la joie feinte, que de fois j'ai surpris des larmes dans les yeux de Diane!.. C'est un cœur vaillant et fort contre la souffrance!.. Sous cette frêle beauté de jeune fille, j'ai deviné le courage d'un homme… Ces larmes furtives qui me serrent le cœur, je les bénis et je les admire… Oh! que Diane garde son secret!.. Au fond d'une âme comme la sienne, il ne peut y avoir que de nobles élans et de saintes pensées!..

      La tête de Roger ne se relevait point. Il gardait le silence.

      – Chacun dans le pays sait cela, reprit le peintre, les plus pauvres comme les plus riches. Il y a un grand malheur sur la maison de Penhoël… Dieu se sert parfois du faible courage d'un enfant pour combattre la force des méchants…

      Étienne s'interrompit brusquement, et sa voix, qui était lente et rêveuse, se fit brève tout à coup et décidée.

      – Et puis, que m'importe tout cela? s'écria-t-il. Je faisais un songe charmant… Le réveil est venu… Que Diane soit ceci ou cela, un ange ou une pécheresse, je la verrai demain pour la dernière fois.

      – Que dis-tu là?.. demanda Roger en tressaillant.

      Ils étaient arrivés sur la terrasse qui bordait la rampe descendante au passage de Port-Corbeau. Ils s'arrêtèrent d'un commun accord, et le peintre s'accouda contre la balustrade de pierre.

      – Ce matin, reprit-il, M. Robert de Blois, qui paraît être maintenant le maître au manoir, m'a payé mes travaux et m'a fait entendre qu'on n'avait plus besoin de moi.

      – Mais Penhoël!.. s'écria Roger, qui saisit la main de son ami; tu aurais dû voir Penhoël.

      – J'ai vu Penhoël, répliqua Étienne, dont l'accent mélancolique prit une nuance d'amertume, et je pars demain pour Paris…

      Au moment où le jeune peintre prononçait ces derniers mots, un faible cri se fit entendre au pied de la terrasse.

      Les deux amis se penchèrent en même temps sur la balustrade et virent deux formes blanches se glisser entre les châtaigniers des taillis.

      – Ce sont elles! s'écria Roger.

      Il voulut s'élancer, mais Étienne le retint de force.

      – Tu restes… dit-il; tu es heureux!.. Crois-moi, veille sur elles pour les protéger, et non pas pour les épier!

      IV

      MÈRE ET FILLE

      C'était la chambre de l'ange de Penhoël: un petit lit entouré de rideaux blancs, dont la mousseline transparente laissait voir dans la ruelle une image de la sainte Vierge, ornée d'un laurier-fleur bénit, quelques siéges brodés par Madame et représentant des sujets enfantins et gracieux, de jolies estampes de piété le long des lambris, et dans une bibliothèque mignonne, en bois de rose, des livres du premier âge.

      Dans ce réduit si frais, à peine pressentait-on la jeune fille. C'était l'enfant qui se montrait encore, l'enfant candide et insouciante.

      Quelque chose disait que cette couche calme ignorait jusqu'à ces rêves vagues qui bercent, à quinze ans, le sommeil de la vierge. Tout était riant, mais froid. L'enfant se jouait, heureuse, au seuil de la puberté. Elle tardait à naître femme.

      Et encore ce qui souriait dans cette chambre gentille, ce qui était frais, gracieux, coquet, n'appartenait pas à Blanche toute seule. C'était Marthe de Penhoël qui avait orné avec amour la retraite de son enfant. Elle était redevenue jeune à penser pour sa fille; et si parfois un peu d'espoir consolait la tristesse de sa nuit solitaire, c'est qu'elle songeait qu'entre ces rideaux blancs son doux ange dormait, ignorant à la fois les angoisses du présent et les menaces de l'avenir.

      Chacun, si malheureux qu'il soit, possède aussi, au fond de son cœur, une sorte d'asile où abriter sa pensée. Il est toujours un coin de l'âme où Dieu clément laisse un rayon d'espoir.

      Marthe de Penhoël souffrait. Autour d'elle, les menaces s'accumulaient. Son pauvre cœur, blessé depuis des années, saignait. Pour elle, le passé n'avait que des regrets amers, le présent que navrant martyre, l'avenir… hélas! il y avait là de si cruelles tortures, que mieux valait fermer les yeux, et attendre comme le condamné à qui la suprême pitié de la loi met un bandeau sur la vue…

      C'était