On peut mesurer maintenant combien les ballades et les chansons ont agi sur Burns de façon opposée. Les premières ne lui ont inspiré que de l'indifférence; il en a mal parlé, et il n'en a laissé que quelques imitations inférieures. Les secondes ont excité en lui un enthousiasme dont on retrouve l'expression à toutes les périodes de sa vie; il les a étudiées, commentées, imitées et surpassées. Il a écrit plus de trois cents chansons, et cinq ou six ballades. Tandis qu'on pourrait établir l'actif de son génie sans parler de ses ballades, et faire l'histoire de la ballade en Écosse sans même citer son nom, on ne saurait omettre ses chansons sans passer sous silence la moitié de son œuvre, ni faire l'histoire de la chanson sans le placer au premier rang.
III.
LES PETITS POÈMES POPULAIRES.
LE ROI JACQUES I, LES SEMPLE DE BELTREE, HAMILTON DE GILBERTFIELD, ALLAN RAMSAY, ROBERT FERGUSSON
Outre des ballades et des chansons, il y a une autre classe de poésies, toutes différentes, et cependant bien indigènes et propres à l'Écosse. Ce sont de courts poèmes comiques, qui se plaisent aux mœurs populaires, et représentent généralement des scènes rustiques, des fêtes de village, les mœurs et les plaisirs des paysans. Ces petits tableaux sont traités avec un sentiment de réalisme très net et très exact, pleins d'humour, de mouvement et de gaîté narquoise151. Leur forme est particulière. Ils sont écrits en une sorte de stance lyrique152, terminée par un refrain qui est le même à travers tout le morceau. L'effort du poète consiste précisément à ramener ce refrain à la fin de chaque strophe, par un tour à la fois ingénieux et naturel. Quand la pièce compte une trentaine de strophes, comme cela est fréquent, on comprend qu'il y ait quelque difficulté et quelque mérite à les boucler toutes de la même boucle, en conservant l'aisance et la marche du récit. C'est un exercice auquel Burns a excellé dès le début, et ses premiers poèmes contiennent des modèles de ce tour de force. Dans cette classe, on peut comprendre des épîtres familières, conçues dans le même esprit, écrites dans une forme analogue, et nourries de la même observation moyenne, nette et railleuse.
Tandis que la poésie orale est, en grande partie, anonyme, ces poèmes portent presque tous le nom de leurs auteurs. Ils sont peu nombreux, et disparaissent, si on n'y regarde pas avec soin, sous la masse des ballades et des chansons. Il importe cependant de les en dégager et de les étudier, car ils contiennent une portion de l'esprit écossais, et ils expliquent la forme d'une partie considérable des œuvres de Burns.
Chose singulière, les deux premiers de ces poèmes populaires sont attribués à Jacques I, le roi poète, peut-être le monarque le plus remarquable qu'ait eu l'Écosse. Sa vie fut romanesque, glorieuse et infortunée. Son père Robert III, pour le soustraire aux attentats du duc d'Albany que cet enfant séparait seul du trône, l'avait envoyé en France, à l'âge de quatorze ans. La nef qui l'emportait avait été interceptée par les Anglais, au mépris d'une trêve qui existait entre les deux nations. Pendant dix-neuf ans le jeune prince fut retenu prisonnier153. Il fut élevé à la cour d'Angleterre, où il apprit à admirer Gower, et Chaucer, son maître en poésie noble et amoureuse. Le donjon de Windsor a conservé son souvenir. C'est là qu'un matin de mai, quand l'herbe était verte, que les haies d'aubépine étaient blanches et toutes sonores d'oiseaux, il aperçut Lady Jane de Beaufort, fille du comte de Somerset et princesse du sang royal d'Angleterre154. Il a raconté en termes brillants et tendres comment, quand il était à songer à son triste sort, il vit passer, dans la fleur de l'année, parmi les fleurs, cette fleur des femmes.
Et alors j'abaissai de nouveau mon regard,
Et je vis se promener au pied de la tour,
Toute solitaire, nouvellement arrivée pour se distraire,
La plus belle ou la plus fraîche jeune fleur
Que j'eusse jamais vue, me sembla-t-il, avant cette heure.
De cette surprise soudaine, tout d'un coup reflua
Le sang de tout mon corps vers mon cœur.
Je décrirai la forme de ses vêtements,
Jusqu'à sa chevelure d'or et sa riche parure;
Ils étaient semés de dessins de perles blanches
Et de topazes brillant comme le feu,
Avec mainte émeraude et maint beau saphir.
Sur sa tête elle portait une coiffure de couleurs fraîches,
De plumes en partie rouges, et blanches et bleues…
Autour de son col blanc comme un émail,
Elle avait une belle chaîne de fine orfévrerie,
À laquelle pendait un rubis sans tache,
Dont la forme était celle d'un cœur,
Qui comme une étincelle de flamme follement
Semblait vouloir brûler sur sa gorge blanche.
Si on pouvait trouver le pareil, Dieu le sait.
Et pour marcher dans ce frais matin de mai,
Elle avait sur sa robe blanche une agrafe
Dont on n'avait jamais vu la plus belle,
Je le suppose; et sa robe pressait lâchement son corps,
Et la marche l'avait entr'ouverte; c'était un tel délice
De voir cette jeunesse dans sa beauté
Que j'ai peur d'en parler trop lourdement155.
Il écrivit, en l'honneur de sa dame, Le Carnet du Roi, un joli poème amoureux, où il raconte comment naquit sa passion, et qui, pour le luxe des descriptions, la révérence envers la femme, un sentiment de fraîcheur printanière, et je ne sais quelle jeunesse et clarté des mots,