Les chasseurs de chevelures. Reid Mayne. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Reid Mayne
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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je suppose? Comment y suis-je venu? Ou m'avez-vous trouve?

      – Dans une terrible position, me repondit-il avec un sourire. Je puis a peine reclamer le merite de vous avoir sauve. C'est votre noble cheval que vous devez remercier de votre salut.

      – Ah! mon cheval! mon brave Moro, je l'ai perdu!

      – Votre cheval est ici, attache a sa mangeoire pleine de mais, a dix pas de vous. Je crois que vous le trouverez en meilleur etat que la derniere fois que vous l'avez vu. Vos mules sont dehors. Vos bagages sont preserves, ils sont la.

      Et sa main indiquait le pied du lit.

      – Et?..

      – Gode, voulez-vous dire? interrompit-il; ne vous inquietez pas de lui. Il est sauf aussi; il est absent dans ce moment, mais il va bientot revenir.

      – Comment pourrai-je jamais reconnaitre?.. Oh! voila de bonnes nouvelles.

      Mon brave Moro? mon bon chien Alp! Mais que s'est-il donc passe? Vous dites que je dois la vie a mon cheval? Il me l'a sauvee deja une fois.

      Comment cela s'est-il fait?

      – Tout simplement: nous vous avons trouve a quelques milles d'ici, sur un rocher qui surplombe le Del-Norte. Vous etiez suspendu par votre lasso, qui, par un hasard heureux, s'etait noue autour de votre corps. Le lasso etait attache par une de ses extremites a l'anneau du mors, et le noble animal, arc-boute sur les pieds de devant et les jarrets de derriere ployes, soutenait votre charge sur son col.

      – Brave Moro, quelle situation terrible!

      – Terrible! vous pouvez le dire! Si vous etiez tombe, vous auriez franchi plus de mille pieds avant de vous briser sur les roches inferieures. C'etait en verite une epouvantable situation.

      – J'aurai perdu l'equilibre en cherchant mon chemin vers l'eau.

      – Dans votre delire, vous vous etes elance en avant. Vous auriez recommence une seconde fois si nous ne vous en avions pas empeche. Quand nous vous eumes hale sur le rocher, vous fites tous les efforts imaginables pour retourner en arriere; vous voyiez l'eau dessous, mais vous ne voyiez pas le precipice. La soif est une terrible chose: c'est une veritable frenesie.

      – Je me souviens confusement de tout cela. Je croyais que c'etait un reve.

      – Ne vous tourmentez pas le cerveau. Le docteur me fait signe qu'il faut que je vous laisse. J'avais quelque chose a vous dire, je vous l'ai dit (ici un nuage de tristesse obscurcit le visage de mon interlocuteur); autrement je ne serais pas entre vous voir. Je n'ai pas de temps a perdre; il faut que je sois loin d'ici cette nuit meme. Dans quelques jours, je reviendrai. Pendant ce temps, remettez vos esprits et retablissez votre corps. Le docteur aura soin que vous ne manquiez de rien. Ma femme et ma fille pourvoiront a votre nourriture.

      – Merci! merci!

      – Vous ferez bien de rester ici jusqu'a ce que vos amis reviennent de Chihuahua. Ils doivent passer pres de cette maison, et je vous avertirai quand ils approcheront. Vous aimez l'etude; il y a ici des livres en plusieurs langues; amusez-vous. On vous fera de la musique. Adieu, monsieur!

      – Arretez, monsieur, un moment! Vous paraissiez avoir un caprice bien vif pour mon cheval.

      – Ah! monsieur, ce n'etait pas un caprice; mais je vous expliquerai cela une autre fois. Peut-etre la cause qui me le rendait necessaire n'existe-t-elle plus.

      – Prenez-le si vous voulez; j'en trouverai un autre qui le remplacera pour moi.

      – Non, monsieur. Pouvez-vous croire que je consentirais a vous priver d'un animal que vous aimez tant et que vous avez tant de raisons d'aimer? Non, non! gardez le brave Moro; je ne m'etonne pas de l'attachement que vous portez a ce noble animal.

      – Vous dites que vous avez une longue course a faire cette nuit; prenez-le au moins pour cette circonstance.

      – Cela, je l'accepte volontiers, car mon cheval est presque sur les dents.

      Je suis reste deux jours en selle. Eh bien, adieu.

      Seguin me serra la main et se dirigea vers la porte. Ses bottes armees d'eperons resonnerent sur le plancher; un instant apres, la porte se ferma derriere lui. Je demeurai seul, ecoutant tous les bruits qui me venaient du dehors. Environ une demi-heure apres qu'il m'eut quitte, j'entendis le bruit des sabots d'un cheval, et je vis l'ombre d'un cavalier traverser le champ lumineux de la fenetre. Il etait parti pour son voyage; sans doute pour l'accomplissement de quelqu'une de ces oeuvres sanglantes qui se rattachaient a son terrible metier! Pendant quelque temps je pensai a cet homme etrange, et je ressentis une grande fatigue d'esprit. Puis mes reflexions furent interrompues par des voix douces; devant moi se tenaient deux figures aimables, et j'oubliai le chasseur de chevelures.

      XIII

      AMOUR

      Je voudrais pouvoir renfermer en dix mots l'histoire des dix jours qui suivirent. Je tiens a ne pas fatiguer le lecteur de tous les details de mon amour; de mon amour qui, dans l'espace de quelques heures, avait atteint les limites de la passion la plus ardente et la plus profonde. J'etais jeune alors; j'etais a l'age auquel on est le plus vivement impressionne par des evenements romanesques du genre de ceux au milieu desquels j'avais rencontre cette charmante enfant; a cet age ou le coeur, sans soucis de l'avenir, s'abandonne irresistiblement aux attractions electriques de l'amour. Je dis electriques; je crois en effet que les sympathies que l'amour fait eclater entre les jeunes gens sont des phenomenes purement electriques. Plus tard, la puissance de ce fluide se perd; la raison gouverne alors. Nous avons conscience de la mutabilite possible des affections, car nous avons l'experience des serments rompus, et nous perdons cette douce confiance qui fait toute la force de l'amour dans la jeunesse. Nous devenons imperieux ou jaloux, suivant que nous croyons gagner ou perdre du terrain. L'amour de l'age mur est melange d'un grossier alliage qui altere son caractere divin. L'amour que je ressentis alors fut, je puis le dire, ma premiere passion veritable. J'avais cru quelquefois aimer auparavant, mais j'avais ete le jouet d'illusions passageres; illusions d'ecolier de village qui voyait le ciel dans les yeux brillants de sa timide compagne de classe, ou qui, par hasard, a quelque pique-nique de famille, dans un vallon romantique, avait cueilli un baiser sur les joues roses d'une jolie petite cousine.

      Mes forces renaissaient avec une rapidite qui surprenait grandement mon savant amateur de plantes. L'amour ranimait et alimentait le foyer de la vie. L'esprit reagit sur la matiere, et il est certain, quoi qu'on en puisse dire, que le corps est soumis a l'influence de la volonte. Le desir de guerir, de vivre pour un objet aime, est souvent le plus efficace de tous les remedes: c'etait le mien. Ma vigueur revint, et je commencai a pouvoir me lever. Un coup d'oeil dans la glace me prouva que je reprenais des couleurs. L'instinct pousse l'oiseau a lisser ses ailes et a donner le plus brillant eclat a son plumage, pendant tout le temps ou il courtise sa femelle. Le meme sentiment me rendait tres-soigneux de ma toilette. Mon portemanteau fut vide, mes rasoirs tires de leur etui, ma longue barbe disparut, et mes moustaches furent reduites a des proportions raisonnables.

      Je fais ici ma confession complete. On m'avait dit que je n'etais pas laid, et je croyais ce que l'on m'avait dit. Je suis homme, et j'ai la vanite de l'homme. N'etes-vous pas ainsi? Quant a Zoe, enfant de la nature encore endormie dans la plus complete innocence, elle n'avait pas de ces preoccupations. Les artifices de la toilette n'occupaient point sa pensee. Elle n'avait nulle conscience des graces dont elle etait si abondamment pourvue. Son pere, le vieux botaniste des pueblos peons et les valets de la maison etaient, a ce que j'appris, les seuls hommes qu'elle eut jamais vus jusqu'a mon arrivee. Depuis nombre d'annees sa mere et elle vivaient dans leur interieur, aussi renfermees que si elles eussent ete recluses dans un couvent. Il y avait la un mystere qui ne me fut revele que plus tard. C'etait donc un coeur virginal, pur et sans tache, un coeur dont les doux reves n'avaient point encore ete troubles par les eclairs de la passion, contre la sainte innocence duquel le dieu des amours n'avait encore decoche aucun de ses traits. Appartenez-vous au meme sexe que moi? Avez-vous jamais desire conquerir un coeur comme celui-la? Si vous pouvez repondre affirmativement a cette question, je n'ai pas besoin de vous dire ce dont vous aurez garde, comme moi, le souvenir: a savoir que tous les efforts que vous aurez pu faire pour arriver a un tel but ont ete inutiles. Vous avez ete aime tout de suite, ou vous