A fond de cale. Reid Mayne. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Reid Mayne
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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J'avais vu plus d'une fois, quand la mer était furieuse, ses lames fouetter l'écueil, et s'élancer au-dessus du signal à une hauteur de plusieurs mètres.

      J'étais perdu sans retour si le vent devenait plus fort.

      Il est vrai que toutes les chances étaient en ma faveur. Nous étions au mois de mai; le ciel avait été admirable pendant la matinée; mais il y a des tempêtes, même dans les plus beaux jours, et le temps, qui paraît doux et calme sur la grève, est souvent orageux en pleine mer. Du reste, il n'était pas nécessaire qu'il y eût un ouragan; une brise un peu fraîche suffirait à m'emporter du monceau de pierres qui me servaient de point d'appui.

      Et quand même le temps fût resté beau, la solidité de mon cairn m'inspirait peu de confiance. J'en avais jeté les pierres au hasard; elles s'étaient amoncelées comme elles me tombaient des mains, et je les avais senties s'ébranler au moment où j'y avait mis les pieds. Que deviendrais-je si elles étaient entraînées par le courant, ou dispersées par les vagues?

      Cette cruelle appréhension venait augmenter mes angoisses et me causait de cruelles tortures. Je jetais vers la baie des regards avides, pensant que peut-être un bateau venait à mon secours; mais, là comme ailleurs, je ne rencontrais qu'une amère déception.

      J'avais conservé ma première attitude, et me pressais contre le poteau, que je serrais dans mes bras comme j'aurais fait d'un ami. À vrai dire, c'était le seul qui me restât; sans lui je n'aurais pas pu élever mon tas de pierres; et en supposant que j'eusse réussi dans cette entreprise, il m'aurait été impossible de me maintenir sur mon étroite plate-forme, si je n'avais pas eu le poteau pour soutien.

      À peine osais-je faire un mouvement; j'avais peur qu'en bougeant l'un de mes pieds, la secousse ne fût assez forte pour faire écrouler mes pierres, que je n'aurais pas pu rétablir. L'eau qui entourait la base était maintenant plus haute que moi, et j'y aurais été forcément à la nage.

      Bien que tout mon corps fut immobile, je tournais souvent la tête pour interroger l'espace, tantôt à droite, tantôt à gauche, fouillant du regard tous les points de l'horizon, et recommençant toujours, sans rien voir qui répondît à mon attente. Puis, mes yeux rencontraient les flots, que j'avais oubliés, en cherchant dans le lointain, et se fixaient sur les vagues énormes qui, revenues de leur course vagabonde, se brisaient contre l'écueil en roulant vers la plage. Elles paraissaient furieuses, et grondaient en passant comme pour se plaindre de ma témérité. Qui étais-je, moi, faible enfant, pour m'établir ainsi dans leur propre domaine.

      Leur voix rugit plus fort; il me sembla qu'elles me parlaient, je fus saisi de vertige, et dans ma défaillance, je crus que j'allais disparaître au fond de l'abîme.

      Les vagues s'élevaient toujours; elles atteignirent les derniers galets, couvrirent mes pieds, montèrent plus haut, toujours plus haut, me frappèrent les genoux… Ô mon Dieu! quand cesseront-elles de monter?

      Pas encore. Elles m'arrivèrent à la ceinture, elles me baignèrent les épaules, leur écume me fouetta le visage, m'entra dans la bouche, dans les yeux, dans les oreilles; je fus à demi étouffé, à demi noyé. Ô père miséricordieux!

      La marée avait maintenant toute sa hauteur, et menaçait à chaque minute de m'engloutir; mais, avec la ténacité que l'instinct de la vie donne au moment suprême, je me cramponnai plus que jamais au poteau, et peut-être aurais-je pu m'y maintenir jusqu'au matin, sans un accident qui vint aggraver le péril.

      Le jour avait disparu, et, comme si la nuit eût donné le signal de ma destruction, le vent redoubla, les nuages se heurtèrent avec fureur, la pluie tomba par torrents, les vagues se soulevèrent avec une nouvelle puissance et faillirent m'entraîner.

      Mon effroi était à son comble; je ne pouvais plus tenir contre les lames.

      À demi entraîné par les flots, j'avais perdu pied tout à fait. Je voulus reprendre ma place sur le tas de pierres, ce qui était indispensable. Afin d'y parvenir, je me soulevai à l'aide de mes bras, et je cherchais du bout de mon soulier à me replacer sur le cairn, lorsqu'une vague détacha mes jambes du poteau. Quand elle eut passé, après m'avoir soutenu horizontalement, je cherchai de nouveau ma pile; j'en touchai les galets; mais au moment où j'y posais les pieds, je la sentis crouler sous moi comme si elle avait fondu tout à coup; et, ne pouvant plus me soutenir, je suivis dans les flots mon support dont les débris s'y étaient éparpillés.

      CHAPITRE XII

Le poteau

      Il était bien heureux pour moi que j'eusse appris à nager, surtout que j'eusse profité des leçons de mon ami Blou; c'était le seul talent qui put m'être utile en pareille circonstance; car, sans lui, je périssais aussitôt. Je me trouvai soudain au milieu des quartiers de roche qui couvraient tout l'écueil, et si je n'avais pas été bon plongeur, il est probable que cette chute au fond de l'eau aurait causé ma mort.

      Mais au lieu d'y rester, je reparus à la surface comme eût fait un canard; puis, m'élevant avec la vague, je regardai autour de moi pour découvrir mon poteau. Il était moins facile de l'apercevoir que vous ne l'imaginez; l'eau m'aveuglait, en me fouettant la figure; et, comme un chien de Terre-Neuve qui cherche quelque chose dans une rivière, je fus obligé de faire deux ou trois tours avant de rien distinguer dans l'ombre, car vous savez qu'il faisait nuit.

      À la fin cependant mes yeux rencontrèrent ce mât de secours. Sans le savoir, je m'en étais éloigné de plus de vingt mètres; et si j'avais laissé faire le vent et la marée, ils m'auraient emporté en dix minutes assez loin du récif pour qu'il me fût ensuite impossible d'y revenir.

      Dès que je l'eus aperçu, j'allai droit au poteau; non pas que je vis clairement à quoi il pourrait me servir; l'instinct seul me dirigeait vers lui. Comme tous les malheureux qui, au moment de se noyer, se rattachent à un brin de paille, je me portais, dans mon trouble, vers la seule chose qui fût à ma portée, espérant sans doute que j'y trouverais mon salut. Je n'avais plus ma raison, et cependant, quand j'approchai du poteau, l'idée subite qu'il me serait inutile vint frapper mon esprit et raviver mes angoisses.

      Je pouvais bien franchir les cinq ou six mètres qui me séparaient de la futaille, mais non pas gagner le faîte de cette dernière. Je l'avais essayé plusieurs fois, à un moment où la fatigue n'avait pas réduit mes forces; et, malgré le désespoir qui soutenait ma vigueur, j'étais sûr de ne point y réussir.

      Pourtant si j'avais pu m'installer sur le bout du tonneau, j'étais sauvé, je n'avais plus rien à craindre; la surface en était assez large pour me permettre d'y rester, même pendant la tempête. Ce n'est pas tout encore; on m'aurait aperçu du rivage, et la fin de l'aventure n'avait plus rien de tragique.

      Mais à quoi bon ces pensées? Je n'avais pas même l'intention de tenter cette escalade; une seule idée me préoccupait: c'était de savoir par quel moyen je pourrais m'attacher à la pièce de bois de manière à ne pas en descendre, comme je l'avais fait jusqu'ici, au bout de quelques instants.

      J'atteignis enfin mon but, et non sans peine; car je nageais contre le vent, la marée et la pluie. C'est avec transport que je lançai mes bras autour de mon poteau, de ce vieil ami auquel je devais l'existence; et il me sembla que j'étais sauvé. Pendant quelques minutes, mon corps flotta sur l'eau, grâce à l'appui que j'avais retrouvé; et si les flots avaient été paisibles, il est probable que je me serais maintenu dans cette position jusqu'à la marée descendante. Malheureusement, la mer était loin d'être calme. Elle s'apaisa, il est vrai, pendant quelques minutes; je repris haleine; mais ce moment de répit fut bien court; le vent ne tarda pas à recouvrer toute sa violence, et les vagues, plus furieuses qu'elles n'avaient encore été, m'enlevaient jusqu'au bord inférieur de la barrique, me laissaient retomber tout à coup en se dérobant sous moi, et, me reprenant en travers, me forçaient à nager autour de mon support, comme un acrobate qui fait la roue, en se tenant perpendiculairement à une perche qui lui sert de pivot.

      Je soutins ce premier choc avec succès; mais je ne me fis pas illusion; l'assaut recommencerait avant peu, et je savais trop bien quel serait le résultat d'une pareille lutte.

      Comment résister à cette force toute-puissante? comment ne pas être arraché du poteau qui était mon seul appui?