Dans l'intervale il arriva à la rade de Ste Heleine37 une escadre holandoise venant du retour du combat de Palerne contre l'armée du Roy comandé par Mr le duc de Vivonne, où Mr l'admiral Ruiter fut tué38, dont son cercueil en plomb étoit dans la dite escadre, et Mr Angel de Ruiter son fils, qui commandoit l'un des vaisseaux, très beau cavalier, très-affable et parlant bon latin et françois. Et comme nos capitaines atendoient leurs réponsces à leurs lettres, nous estions fort à loisir; nous alions souvent les après-disner aux promenades et aux cabarets boire de la bière; Mr Ruiter fils entra dans nostre auberge avec un de ses officiers et me demanda sy j'étois l'un des capitaines de ces pauvres terneuviers, et que je les pouvois tous assurer de sa parolle que sy le vent nous venoit favorable, que nous pourions en toute seureté en profiter pour nous rendre chez nous, et que aucun de son escadre ne coureroit sur nous; ce que je raporté à tous nos capitaines. Après quoy nous nous séparasmes et busmes à la santé l'un de l'autre. Et me pria pour le landemain de me trouver à la mesme auberge du Grand Ours sur les deux heures d'après midy, et mon capitaine par timidité ny voulut retourner, et je n'y manqué pas, et le trouvé qui m'attendoit. Et après avoir bu une canette de bière il me dits qu'ils prenoit beaucoup de plaisir à parler françois et qu'il les aimoit naturellement, quoyque Mr son père en avoit esté tué, qu'ils étoient braves et tout ce qu'on peu d'obligeant pour une nation leurs adverses.
Comme nous sortions pour aler à une promenade, on luy dit que Madame la duchesse de Porsemuths39 venoit d'ariver en ville. Il me dit: Alons la saluer. Je luy dits: «J'ai l'honneur d'estre connu de Madame la contesse de Keroal, sa mère, mais de cette dame non.» Il me pressa fort d'y aler; et je m'en excusois, disant que je luy ferois deshonneur à luy mesme par mon trop comun habillement. Il me répond: «Bon c'est comme l'on aime les marins.» Et m'engagea d'y aler. Nous la trouvasmes entourée d'une grande cour d'officiers comme étant maitresse du Roy d'Angleterre, et tour à tour elle receut les compliments d'un chacun ainsy de Mr Ruiter qui eut la bonté de luy dire que j'étois connu de Madame sa Mère et qu'il se plaisoit avec moy, quoy qu'en guerre. Cette dame me questionna sur Madame sa Mère et connaissant ma justesse nous fit bien des gracieusetées en la quittant et nous dit un peu bas: «Or ça, il faut demain venir disner avec moy, et ny manquez pas.» Ce que nous ne pusmes refuser.
Nous y fusmes. Après le disner le caffé fut présenté et puis des tables pour les jeux. Elle demanda à Mr Ruiter s'il avoit vu Londres et la cour, il dit que non. «Et vous, me dit-elle.» «Non madame» – «Ah! vraiment puisque vous en êtes sy proches il faut que vous y alliez.» Nous nous excusions très-fort tous les deux en disant ne pouvoir nous écarter de nos navires, en cas pour moy d'un bon vent. «Hé, bon, bon, dit-elle, ce n'est qu'un voyage de sept à huit jours. Je vous presteray ma chaise à deux et mon cocher, et prendrez logement dans mon hostel. Quoy! des jeunes gens.» – Enfin elle nous gagna par ses belles manières, elle se mit au jeu qui nous donna lieu de sortir sans sérémonie et sans estre aperceus.
Ce seigneur craignoit la dépence comme tous ceux de sa nation et moy pour n'avoir en pareille occasion rien épargné, je n'en avois pas. Il fallut pensser tous les deux comment faire et comment nous dégager. Il me dits qu'il ne pouvoit faire ce voyage qu'incognito, que sy Mrs les Etats Généraux le savent que se sera pour estre disgrascié. Je luy dits que l'odeur de Mr son père étoit forte en Holande et qu'il avoit beau se couvrir, en disant qu'il aloit s'emboucher avec Mr leur Embassadeur qui étoit son oncle, mais que pour moy que j'étois excusable, n'ayant ny argent ny crédit ny de quoy en faire, cependant que s'il payoit les trois quarts de nostre dépence, que je ne l'abandonnerois pas. Et il fut sy bas de me dire que j'en payerois la moittié et à la fin nous acordasmes pour luy les deux tiers. Sur quoy je fut emprunter dix livres sterlins à un marchand nommé Mr Smits, et entreprismes le voyage et estant arivées à Londre Mr L'Angel Ruiter fit toujours servir la chaise de Madame la duchesse à nos promenades du Withals, St Jemes et Winsorts et dont j'en avois honte, et une mexquinerie horible en tout, et après neuf jours et demy nous remerciasmes la dame Duchesse notre bienfaitrice.
Peu de jours ensuitte, il nous arriva à Ste Héleine deux frégattes du Roy de 24 et 18 canons, soubs les comandements de Mrs de Gravansson40 et St Mars Colbert41, que les intéressés de nostre petite flotte avoient obtenües de la cour, pour nous venir escorter jusqu'à la rade du Havre, et nous aconduire deux caravelles de Quilbeuf où estoient des pilotes lamaneurs pour chacun de nous et aussy des vivres pour tous nos équipages, et on nous fit sortir du port de Porsemuts pour nous joindre à la rade de Ste Heleine proche de nos frégates, pour partir du premier bon vent. Je fut prendre congé de Madame la Duchesse et ensuitte de Mr Angel de Ruiter qui en m'embrassant m'apela son frère et son amy, en m'assurant que sy je voulois l'aler trouver lorsqu'il sera arivé en Holande, et que sy je veux il fera mon advancement dans le service de Mrs les Etats et sur toutes choses que j'eus à luy donner de mes nouvelles, et que j'assurats Mrs les captaines de nos convois de ses civilités, et qu'il ne souffrira aucun de son escadre de coure après nous. Le 16 de janvier, sur le midy, d'un assez beau tems, nous mismes tous soubs les voilles faisant route et pendant la nuit pour la rade du Havre, et sur les huit heures du 17e, au matin, nous eusmes connoissance du cap de la Hève éloigné de 5 à 6 lieux de nous et les deux convois forcèrent de voille et furent mouiller leurs ancres à la rade se persuadant que nous n'avions rien à craindre. Mais sur les dix heures aperceusmes en arrière de nous trois navires qui faisoient nostre mesme route et qui nous aprochoient promptement, ayant leurs pavillons blancs qui nous donnoit lieu de croire que c'étoit des navires pour le Havre; mais nous fusmes bien surpris qu'estant à portée nous aperceusmes leurs canons et leurs équipages prest à nous donner leur décharge sur la moindre de nos résistances, et arborèrent les pavillons d'Ostende et nous sommèrent