Le comte de Moret. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
ou plutôt par la trahison de Créquy, furent repoussés par Charles-Emmanuel, au grand regret du cardinal.

      Mais il lui restait au centre du Piémont une ville qui avait vaillamment tenu et sur laquelle flottait toujours le drapeau de la France, c'était Cazal, défendue par un brave et loyal capitaine, nommé le chevalier de Gurron.

      Malgré la déclaration bien positive faite par Richelieu, que la France soutiendrait les droits de Charles de Nevers, le duc de Savoie avait grand espoir que ce prétendant serait un jour ou l'autre abandonné du roi Louis XIII, car il connaissait la haine que lui portait Marie de Médicis, qu'il avait autrefois refusé d'épouser, sous prétexte que les Médicis n'étaient pas de naissance à s'allier avec les Gonzague, qui étaient princes avant que les Médicis ne fussent seulement gentilshommes.

      Et maintenant on connaît la cause des ressentiments qui poursuivent le cardinal, et dont il s'est plaint si amèrement à sa nièce.

      La reine-mère hait le cardinal de Richelieu pour une multitude de raisons; la première et la plus âcre de toutes, c'est qu'il a été son amant et qu'il ne l'est plus; qu'il a commencé par lui obéir en toutes choses, et qu'il a fini par lui être opposé sur tous les points; que Richelieu veut la grandeur de la France et l'abaissement de l'Autriche, tandis qu'elle veut la grandeur de l'Autriche et l'abaissement de la France, et qu'enfin Richelieu veut faire un duc de Mantoue, de Nevers, dont elle ne veut rien faire, à cause de la vieille rancune qu'elle garde contre lui.

      La reine Anne d'Autriche hait le cardinal de Richelieu, parce qu'il a traversé ses amours avec Buckingham, ébruité la scandaleuse scène des jardins d'Amiens, chassé d'auprès d'elle Mme de Chevreuse, sa complaisante amie, battu les Anglais, avec lesquels était son cœur, qui ne fut jamais à la France, parce qu'elle le soupçonne sourdement, n'osant le faire tout haut, d'avoir dirigé le couteau de Felton contre la poitrine du beau duc, et, enfin, parce qu'il surveille obstinément les nouvelles amours qu'elle pourrait avoir, et qu'elle sait qu'aucune de ses actions, même les plus cachées, ne lui échappe.

      Le duc d'Orléans hait le cardinal de Richelieu, parce qu'il sait que le cardinal le connaît ambitieux, lâche et méchant, attendant avec impatience la mort de son frère, capable de la hâter dans l'occasion, parce qu'il lui a ôté l'entrée au conseil, emprisonné son précepteur Ornano, décapité son complice Chalais, et que, pour toute punition d'avoir conspiré sa mort, il l'a enrichi et déshonoré. Au reste, n'aimant personne que lui-même, il ne compte, la mort de son frère arrivant, épouser la reine, plus âgée que lui de sept ans, que dans le cas où la reine serait enceinte.

      Enfin le roi le haïssait parce qu'il sentait que tout dans le cardinal était génie, patriotisme, amour réel de la France, tandis qu'en lui tout était égoïsme, indifférence, infériorité, parce qu'il ne régnerait pas tant que le cardinal vivrait, et régnerait mal le cardinal mort: mais une chose le ramène incessamment au cardinal, dont incessamment on l'éloigne.

      On se demande quel est le philtre qu'il lui a fait boire, le talisman qu'il lui a pendu au cou, l'anneau enchanté qu'il lui a passé au doigt! Son charme, c'est sa caisse toujours pleine d'or, et toujours ouverte pour le roi. Concini l'avait tenu dans la misère, Marie de Médicis dans l'indigence, Louis XIII n'avait jamais eu d'argent, le magicien toucha la terre de sa baguette, et le Pactole jaillit aux yeux du roi, qui dès lors eut toujours de l'argent, même quand Richelieu n'en avait pas.

      Dans l'espérance que maintenant tout est aussi clair sur l'échiquier de nos lecteurs que sur celui de Richelieu, nous allons reprendre notre récit où nous l'avons laissé à la fin du premier volume.

      CHAPITRE II.

      MARIE DE GONZAGUE

      Pour arriver au résultat que nous venons de promettre, c'est-à-dire pour reprendre notre récit où nous l'avons abandonné à la fin de notre dernier volume, il faut que nos lecteurs aient la bonté d'entrer avec nous à l'hôtel de Longueville, qui, adossé à celui de la marquise de Rambouillet, coupe avec lui, en deux, le terrain qui s'étend de la rue Saint-Thomas-du-Louvre à la rue Saint-Nicaise, c'est-à-dire est situé comme l'hôtel Rambouillet, entre l'église Saint-Thomas-du-Louvre et l'hôpital des Quinze-Vingts; seulement son entrée est rue Saint-Nicaise, juste en face des Tuileries, tandis que l'entrée de l'hôtel de la marquise, est, nous l'avons dit, rue Saint-Thomas-du-Louvre.

      Huit jours se sont passés depuis les événements qui ont fait, jusqu'à présent, le sujet de notre récit.

      L'hôtel, qui appartient au prince Henri de Condé, le même qui prenait Chapelain pour un statuaire, et qui a été habité par lui et par Mme la princesse sa femme, avec laquelle nous avons fait connaissance à la soirée de Mme de Rambouillet, a été abandonné en 1612, deux ans après son mariage avec Mlle de Montmorency, époque à laquelle il acheta, rue Neuve Saint-Lambert, un magnifique hôtel qui débaptisa cette rue pour lui donner le nom de rue de Condé, qu'elle porte aujourd'hui. Il est habité seulement, au moment où nous sommes arrivés, c'est-à-dire au 13 décembre 1628 (les événements sont tellement importants à cette époque, qu'il est bon de prendre les dates), par Mme la duchesse douairière de Longueville et par sa pupille, Son Altesse la princesse Marie, fille de François de Gonzague, dont la succession causa tant de troubles, non seulement en Italie, mais en Autriche et en Espagne, et de Marguerite de Savoie, fille elle-même de Charles-Emmanuel.

      Marie de Gonzague, née en 1612, atteignait donc sa seizième année; tous les historiens du temps s'accordent à affirmer qu'elle était belle à ravir, et les chroniqueurs, plus précis dans leurs dires, nous apprennent que cette beauté consistait: dans une taille moyenne parfaitement prise; dans ce teint mat des femmes nées à Mantoue, que, comme les femmes d'Arles, elles doivent aux émanations des marais qui les entourent; dans des cheveux noirs, des yeux bleus, des sourcils et des cils de velours, des dents de perle et des lèvres de corail, un nez grec d'une forme irréprochable dominant ces lèvres, qui n'avaient pas besoin du secours de la voix pour faire les plus suaves promesses.

      Inutile de dire que, vu le rôle important qu'elle était appelée à jouer comme fiancée du duc de Rethellois, fils de Charles de Nevers, héritier du duc Vincent, dans les événements qui allaient s'accomplir, Marie de Gonzague, à qui sa beauté eût suffi, comme à l'étoile polaire son éclat, pour attirer les regards de tous les jeunes cavaliers de la cour, attirait en même temps ceux des hommes que leur âge, leur gravité ou leur ambition, poussaient à la politique.

      On la savait d'abord puissamment protégée par le cardinal de Richelieu, et c'était un motif de plus, pour ceux qui voulaient faire leur cour au cardinal, de faire à la belle Marie de Gonzague une cour assidue.

      C'était évidemment à cette protection du cardinal, protection dont la présence de Mme de Combalet était une preuve, que nous pouvons voir, vers sept heures du soir, arriver rue Saint-Nicaise, et descendre à la porte de l'hôtel de Longueville, les uns de leurs voitures, et les autres de la nouvelle invention qui depuis la veille est en pratique, c'est-à-dire de ces chaises à porteurs dont Souscarrières partage le brevet avec Mme Cavois, les principaux personnages de l'époque, qu'on introduit, au fur et à mesure qu'ils arrivent, dans le salon au plafond orné de caissons peints représentant les faits et gestes du bâtard Dunois, fondateur de la maison de Longueville, et de tapisseries qu'éclairaient à peine un immense lustre descendant du centre du plafond, et des candélabres posés sur les cheminées et sur les consoles, où se tient la princesse Marie.

      Un des premiers arrivés était M. le prince.

      Comme M. le prince jouera un certain rôle dans notre récit, qu'il en a joué un grand dans l'époque qui précède et dans celle qui doit suivre, rôle triste et ténébreux, nous demandons au lecteur la permission de lui faire connaître ce rejeton dégénéré de la première branche des Condé.

      Les premiers Condé étaient braves et rieurs, celui-ci était lâche et sombre. Il disait tout haut: «Je suis un poltron, c'est vrai, mais Vendôme l'est encore plus que moi!» – Et cela le consolait, en supposant qu'il eût besoin de consolation.

      Expliquons ce changement.

      En mourant assassiné à Jarnac, ce charmant petit prince de Condé qui, quoique un peu bossu, était la coqueluche de toutes