Les conteurs à la ronde. Dickens Charles. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dickens Charles
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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l'accomplissement de sa promesse.»

      Marguerite resta longtemps sur le seuil, et Carl regarda bien des fois en arrière avant de tourner l'angle de la rue. Malgré cette séparation, il se sentait le coeur assez léger, car il avait toujours envisagé ce voyage comme le moyen d'obtenir la main de la fille de son patron. «Il ne faut pas perdre de temps, pensait-il, et pourtant ce serait une grande chose, si je découvrais la source de notre rivière. Je fais justement route vers le Sud, j'essaierai!»

      Le troisième jour, il prit un bateau dans un petit village et remonta le courant; mais, dans l'après-midi, il arriva près des rochers, et ce courant devint plus fort. Il continuait pourtant de ramer. Le double mur de roche grisâtre grandissait toujours sur l'une et l'autre rive, et lorsqu'il regardait en l'air, il ne voyait plus qu'une étroite bande du ciel. À la fin, toute la vigueur de ses bras suffisait à peine pour maintenir le bateau en place. De temps en temps, et par un effort soudain, il avançait bien de quelques brasses, mais il ne pouvait conserver l'espace qu'il avait gagné, et cédant à la lassitude, il fut obligé de se laisser aller à la dérive. Ainsi donc, pensa-t-il, ce qu'on disait des rochers et de l'impétuosité du courant est vrai, je puis au moins l'attester.»

      Carl erra bien des jours avant de trouver de l'ouvrage, et quand il en trouva, cet ouvrage était mal payé et suffisait à peine à le faire vivre; il fut donc obligé de se remettre en route. Déjà la moitié du terme prescrit s'était écoulé, et quoiqu'il eût fait bien des centaines de lieues et travaillé dans bien des villes, il avait à peine épargné dix florins d'or. Force lui fut de chercher encore fortune ailleurs. Après plusieurs journées de marche, il arriva dans une petite ville située sur le bord d'une rivière, dont les eaux étaient si transparentes qu'elles le firent penser à celles de la «Klar.» La ville elle-même ressemblait tellement à Stromthal, qu'il pouvait presque s'imaginer être revenu à son point de départ, après un long circuit; mais il ne pouvait être encore question pour Carl de rentrer dans sa ville natale. Le terme n'était qu'à moitié expiré, et ses dix florins d'or, dont l'un venait de s'entamer en voyage, feraient, pensait-il, pauvre figure après qu'il s'était vanté d'en rapporter cinquante. Il ne se sentait plus le coeur aussi léger que le jour où il avait quitté Marguerite sur Ie seuil de la maison de son père. Combien le monde était différent de son attente! La dureté des étrangers avait aigri son coeur, et il éprouvait plutôt de la peine que du plaisir à se rappeler Stromthal ce jour-là. Sans la fatigue qui l'accablait, il aurait tourné le dos à la ville, et continué son chemin sans s'arrêter; mais le soir étant venu, il avait besoin de réparer ses forces. Il entra donc dans des rues tortueuses qui lui rappelaient de plus en plus Stromthal, et gagna la place du marché, au milieu de laquelle s'élevait une grande et blanche statue, représentant une fortune qui tenait une branche d'olivier à la main; sa tête, était nue: mais les plis d'une draperie l'enveloppaient de la ceinture aux pieds…

      – Quelle est cette statue? demanda Carl à un passant.

      Le passant répondit dans un dialecte étranger, qui fut pourtant compris de Carl:

      – C'est la statue de notre rivière.

      – Et comment nomme-t-on votre rivière?

      – Le «Geber» (Le Bienfaiteur), parce qu'elle enrichit la ville et lui permet de trafiquer avec beaucoup de grandes cités.

      – Et pourquoi cette statue a-t-elle la tête nue et les pieds cachés?

      – Parce que nous savons où la rivière prend sa source; mais tout le monde ignore où elle aboutit.

      – Ne peut-on savoir où aboutit le courant?

      – C'est une entreprise dangereuse. Le courant devient très impétueux; resserré longtemps entre des rochers escarpés; il finit par se précipiter dans une profonde caverne où il se perd.

      – C'est bien étrange, pensa Carl, que cette, ville ressemble sous tant de rapports à la mienne.»

      Il n'était pas au bout de ses surprises.

      Un peu plus loin, dans une rue étroite, il aperçut, une maison de bois avec un petit tonneau suspendu au-dessus de la porte en guise d'enseigne. Cette maison ressemblait tellement à celle de Jacob Elsen, que si les mots Peter Schonfuss, tonnelier du Duc, n'avaient pas été inscrits au-dessus de la porte, il aurait cru qu'il y avait de la magie.

      Carl frappa, et une jeune femme vint ouvrir. Ici finissait la ressemblance, car il suffit d'un regard pour voir que Marguerite était cent fois plus belle.

      – Je ne sais pas si mon père a besoin d'ouvriers, dit la jeune femme, mais si vous êtes un voyageur, vous pouvez vous reposer et vous rafraîchir en l'attendant.»

      Carl la remercia et entra. La cuisine, au plafond très bas comme celle de Jacob Elsen, ne l'étonna point, car la plupart des maisons étaient ainsi bâties à cette époque. La fille du tonnelier mit une nappe blanche, lui donna de la viande et du pain, et lui apporta de l'eau pour se laver; mais tandis qu'il mangeait, elle lui fit beaucoup de questions sur le lieu d'où il venait et sur ceux qu'il avait déjà parcourus. Jamais elle n'avait entendu parler de Stromthal, et elle ne savait rien du pays situé au-delà du Himmelgebirge. Quand son père entra, Carl vit qu'il était beaucoup plus vieux que Jacob Elsen.

      – Ainsi donc vous cherchez du travail? demanda le père.

      Carl, qui se tenait debout le bonnet à la main, s'inclina.

      En ce cas, suivez-moi. Le vieillard marcha devant lui et le fit entrer dans un atelier au fond duquel une, porte entr'ouverte laissait voir la rivière. Il mit les outils dans les mains de Carl, et lui dit de continuer une tonne à moitié faite. Carl maniait si habilement ces outils, que Peter Schonfuss le reconnut tout de suite pour un bon ouvrier, et lui offrit de meilleurs gages qu'il n'en avait eu jusqu'alors.

      Carl resta chez son nouveau maître jusqu'à l'expiration des trois années; mais un jour il dit à Bertha Schonfuss:

      – Mon temps est fini, Berthe; demain je retournerai dans mon pays.

      – Je prierai Dieu de vous accorder un bon voyage, répondit Bertha, et de vous faire trouver la joie au logis.

      – Voyez-vous, Bertha, dit Carl, j'ai épargné soixante-dix florins d'or; sans cette somme, je n'aurais jamais pu retourner au pays et épouser Marguerite, dont je vous ai tant parlé. Sans vous, je n'aurais pas gagné cela. Ne dois-je pas en être reconnaissant toute ma vie?

      – Et revenir nous voir un jour, reprit Bertha; cela va sans dire.

      – Sûrement, dit Carl, en nouant son argent dans le coin de son mouchoir.

      – Attendez! S'écria Bertha. Il y a du danger à porter beaucoup d'argent sur soi dans cette partie du pays; les routes sont infestées de voleurs.

      – Je fabriquerai une boîte pour mettre l'argent, dit Carl.

      – Non, mettez-le plutôt dans le manche creux d'un de vos outils. Il est tout naturel, pour un ouvrier, de porter des outils; personne ne songera à y regarder.

      – Aucun manche ne serait assez grand pour les contenir, répliqua Carl, Je vais fabriquer un maillet creux, et je les mettrai dans le corps du maillet.

      – C'est une bonne idée, s'écria Bertha.

      Carl se mit à l'oeuvre le lendemain et fit un large maillet, dans lequel il pratiqua un trou, bouché par une cheville, où il enferma cinquante pièces d'or. Le reste de son trésor lui sembla bon à garder pour les dépenses du voyage et l'achat d'habits et d'autres objets; car il pouvait maintenant se permettre quelques prodigalités. Quand tout fut prêt, il loua un bateau pour descendre la rivière et faire ainsi une partie de son voyage. Le vieillard lui dit adieu affectueusement sur le petit embarcadère de sa boutique; Carl embrassa Bertha, et Bertha lui recommanda d'avoir bien soin de son maillet.

      Le batelier qui devait le conduire était bien le plus laid garçon qu'on puisse imaginer. Il avait les jambes très courtes et une très large carrure. On ne lui voyait guère de cou, mais ce cou portait une tête volumineuse, et sa grande figure ronde était percée de deux petits yeux étincelants. Ses cheveux étaient noirs et hérissés; ses bras très longs, comme ceux d'un