La petite comtesse. Feuillet Octave. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Feuillet Octave
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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pas de mon tabouret, et ôter son chapeau:

      – Monsieur, me dit-il d'une voix franche et pleine, voulez-vous me permettre de voir votre dessin?

      Je lui rendis son salut, m'inclinai en signe d'acquiescement, et poursuivis mon travail. Après un moment de silencieuse contemplation, l'inconnu équestre laissa échapper quelques épithètes louangeuses, qui semblaient lui être arrachées par la violence de ses impressions; puis, reprenant l'allocution directe:

      – Monsieur, me dit-il, permettez-moi de rendre grâces à votre talent; nous lui devrons, je n'en puis douter, la conservation de ces ruines, qui sont l'ornement de notre pays.

      Je quittai aussitôt ma réserve, qui n'eût plus été qu'une bouderie enfantine, et je répondis, comme il convenait, que c'était apprécier avec beaucoup d'indulgence une ébauche d'amateur; que j'avais, au reste, le plus vif désir de sauver ces belles ruines, mais que la partie la plus sérieuse de mon travail menaçait de demeurer très-insignifiante, faute de renseignements historiques que j'avais vainement cherchés dans les archives du chef-lieu.

      – Parbleu! monsieur, reprit le cavalier, vous me faites grand plaisir. J'ai dans ma bibliothèque une bonne partie des archives de l'abbaye. Venez les consulter à votre loisir. Je vous en serai reconnaissant.

      Je remerciai avec embarras. – Je regrettais de n'avoir pas su cela plus tôt. Je craignais d'être rappelé à Paris par une lettre que j'attendais ce jour même. – Cependant, je m'étais levé pour faire cette réponse, dont je m'efforçais d'atténuer la mauvaise grâce par la courtoisie de mon attitude. En même temps, je prenais une idée plus nette de mon interlocuteur; c'était un beau vieillard à large poitrine, qui paraissait porter très-vertement une soixantaine d'hivers, et dont les yeux bleu clair, à fleur de tête, exprimaient la bienveillance la plus ouverte.

      – Allons, allons, s'écria-t-il, parlons franc! Il vous répugne de vous mêler à cette bande d'étourdis que voilà là-bas, et que je n'ai pu empêcher hier de faire une sottise pour laquelle je vous présente mes excuses. Je me nomme le marquis de Malouet, monsieur. Au surplus, les honneurs de la journée ont été pour vous. On voulait vous voir: vous ne vouliez pas être vu. Vous avez eu le dernier mot. Qu'est-ce que vous demandez?

      Je ne pus m'empêcher de rire en entendant une interprétation si favorable de ma triste équipée.

      – Vous riez! reprit le vieux marquis: bravo! nous allons nous comprendre. Ah çà! qu'est-ce qui vous empêche de venir passer quelques jours chez moi? Ma femme m'a chargé de vous inviter: elle a compris par le menu tous vos ennuis d'hier. Elle a une bonté d'ange, ma femme! elle n'est plus jeune, elle est toujours malade, c'est un souffle, mais c'est un ange… Je vous logerai dans ma bibliothèque… Vous vivrez en ermite, si cela vous convient… Mon Dieu, je vois votre affaire, vous dis-je: mes étourneaux vous font peur; vous êtes un homme sérieux: je connais ce caractère-là!.. Eh bien, vous trouverez à qui parler… Ma femme est pleine d'esprit;… moi-même, je n'en manque pas… J'aime l'exercice… il est nécessaire à ma santé… Mais il ne faut pas me prendre pour une brute: diable! pas du tout! je vous étonnerai. Vous devez aimer le whist, nous le ferons ensemble; vous devez aimer à bien vivre, délicatement, j'entends, comme il sied à un homme de goût et d'intelligence… Eh bien, puisque vous appréciez la bonne chère, je suis votre homme; j'ai un cuisinier excellent… j'en ai même deux pour le quart d'heure, un qui part et l'autre qui arrive;… il y a conjonction… cela fait une lutte savante… un tournoi académique… dont vous m'aiderez à décerner le prix!.. Allons! ajouta-t-il en riant lui-même ingénument de son bavardage, voilà qui est dit, n'est-ce pas? je vous enlève.

      Heureux, Paul, l'homme qui sait dire: "Non!" Seul, il est vraiment maître de son temps, de sa fortune et de son honneur. Il faut savoir dire: "Non;" même à un pauvre, même à une femme, même à un vieillard aimable, sous peine de livrer à l'aventure sa charité, sa dignité et son indépendance. Faute d'un non viril, que de misères, que de crimes, depuis Adam!

      Tandis que je pesais à part moi l'invitation qui m'était adressée, ces réflexions m'assaillirent en foule; j'en connus la profonde sagesse, – et je dis: "Oui." – Oui fatal, par lequel je perdais mon paradis, échangeant une retraite complétement à mon gré, paisible, laborieuse, romanesque et libre, contre la gêne d'un séjour où la vie mondaine déploie toutes les fureurs de son insipide dissipation.

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