Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Duchaussois Pierre Jean Baptiste
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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vu, bien que chacun affirme l’avoir rencontré un jour. Mais il est là, nul n’en saurait douter; et il n’y a de salut que dans la fuite. «Et voyez l’astuce de cet ennemi, font-ils remarquer: il ne vient jamais l’hiver, le lâche! parce que sur la neige nous verrions ses traces, mais seulement l’été!»

      Pauvres cerveaux, affaiblis par les privations, par l’isolement, par les anciennes défaites, et, dit le missionnaire, par le démon qui multiplie leurs frayeurs, afin d’accréditer ses ministres, les sorciers, qui s’arrogent la puissance et le privilège d’évincer l’ennemi, le dénédjéré!

      Le sorcier, dont le prestige universel n’a pas encore reçu le coup fatal, centralisait jadis le culte des Dénés envers les esprits supérieurs.

      Les esprits supérieurs étaient répartis selon le système manichéen: le bon et les mauvais. Du Puissant bon, Yédariénéson, venait tout le bien: des Puissants mauvais, Yédariéslini, venaient tous les maux; et l’homme n’était que l’enjeu irresponsable de la lutte qu’ils se livraient, lutte dont les mauvais esprits sortaient ordinairement vainqueurs.

      Le Puissant bon et juste, qui ne se dégageait pas des formes palpables de l’univers, était «Celui par qui la terre avait été faite, Néoltsini». Certaines tribus, comme les Peaux-de-Lièvres et les Loucheux crurent à la trinité de cet esprit, presque à la manière des Egyptiens: «Le Père, assis au zénith; la Mère, au nadir; le Fils, parcourant le ciel de l’un à l’autre.»

      Un jour, en s’y promenant, racontent les Peaux-de-Lièvres, ce Fils aperçut la terre. Alors, étant retourné vers son Père, il lui dit, en chantant (et ce chant est conservé parmi les Peaux-de-Lièvres): «O mon Père, assis en haut, allume donc le feu céleste, car sur cette petite île (la terre, que les Indiens croient être une île ronde), mes beaux-frères sont depuis longtemps malheureux. Vois-le donc, ô mon Père! Alors, descends vers nous, te dit l’homme qui fait pitié!»

      La vieille sorcière K’atchoti, à qui le Père Petitot demandait si les Dénés avaient ouï dire que le Fils de Dieu fût venu sur la terre, répondit:

      Oui, longtemps avant l’arrivée des Blancs, ma mère me disait qu’une étoile avait paru dans l’ouest-sud-ouest, et que plusieurs de notre nation s’y étaient transportés. Depuis ce temps-là, nous sommes tous séparés. Les Montagnais ont gagné le Sud; leurs flèches sont petites et mal faites. Les Loucheux se sont dirigés vers le Nord; leurs femmes sont maladroites. Mais nous, les hommes véritables, nous sommes demeurés dans les montagnes Rocheuses, et il y a fort peu de temps que nous sommes arrivés sur le bord du Mackenzie.

      Toutes les légendes indiennes n’ont pas cette pureté. Mais à chaque pas de leurs récits apparaît la trace des traditions primitives. Les Mangeurs de Caribous racontaient ainsi à Mgr Breynat la révolte et la punition des anges:

      Le corbeau était le plus beau des oiseaux. Il avait la plus belle voix, et son chant charmait la terre. Mais l’orgueil vint dans son esprit, et cela irrita tellement les autres oiseaux qu’ils se précipitèrent sur lui, le prirent par le cou, et, le tenant de la sorte, le plongèrent dans le charbon. Le corbeau, à demi-étranglé, essayait de crier. C’est depuis ce temps-là qu’il est noir et qu’il fait cro-a, cro-a.

      Parmi les incohérences et les obscurités du paganisme, les missionnaires furent cependant heureux de découvrir parfois des clartés sur l’au-delà, entretenues par le bon sens naturel, qui est le regard ingénu et profond de toute âme neuve et droite:

      J’examinais un jour la main d’un vieillard, privée de son pouce, raconte Mgr Taché. S’étant aperçu de mon attention, il me dit, d’un ton de conviction qui me toucha: «J’étais, à la chasse, en hiver, loin de ma loge. Il faisait froid. Je marchais. Tout à coup, j’aperçois des caribous (rennes). Je les approche; je les tire; mon fusil crève et m’emporte le pouce. Déjà beaucoup de mon sang n’était plus. En vain je m’efforçai d’en tarir la source. Impossible. Alors j’eus peur de mourir. Mais me souvenant de Celui que tu nommes Dieu, et que je ne connaissais pas bien, je lui dis: «Mon Grand Père (Settsié), on dit que tu peux tout; regarde-moi, et, puisque tu es le Puissant, soulage-moi. Tout à coup, plus de sang, ce qui me permit de mettre ma mitaine. Je regagnai ma loge, où je m’écrasai de faiblesse, en entrant. Je compris alors quelle est la force du Puissant. Depuis ce moment, j’ai toujours désiré de le connaître. C’est pourquoi, ayant appris que tu étais ici, je suis venu de bien loin, pour que tu m’enseignes à servir Celui qui m’a sauvé, et qui, seul, nous fait vivre tous.»

      Mais ces sentiments de piété envers le vrai Dieu, s’ils naissaient dans les âmes païennes, ne tardaient pas d’ordinaire à y être étouffés par l’obsédante terreur des esprits mauvais, et c’est devant le sorcier que s’inclinaient bientôt toutes les pensées, toutes les espérances:

      – A quoi bon, disait le sorcier, vous occuper d’un esprit dont le devoir est de vous faire du bien? Laissez-le, et employez vos prières et vos forces à vous rendre propices les puissants mauvais.

      Ces esprits néfastes, l’Indien les voyait par légions. Ils remplissaient l’air, soufflaient dans les tempêtes, grondaient dans les rapides, soulevaient les lacs, hurlaient dans les orages, éventaient les chasseurs, dispersaient les poissons, causaient toutes les maladies, frappaient les jeunes gens «que la vie n’avait pas encore usés». Affolés par la crainte de déplaire à tant de génies malfaisants, les Dénés se prenaient dans un réseau de superstitions, et ne se confiaient plus qu’au charme du sorcier, «l’homme de médecine».

      Le sorcier entre-t-il en communication directe avec les démons? Plusieurs missionnaires penchent à le croire. Aucun ne l’affirmerait. Il est cependant des faits que ni la prestidigitation ni le charlatanisme n’ont encore expliqués.

      La sorcellerie dénée se diversifie selon son objet. La magie noire, qui est la principale, apaise les esprits. L’opérative exécute des prestiges amusants ou terrifiants. L’inquisitive retrouve les choses perdues, révèle les allées et venues des absents, hâte l’arrivée des barques, etc. La maléfactive jette des sorts sur les ennemis. «Les magiciens, selon le cérémonial de cette dernière, se dépouillent de leurs vêtements, entourent leur tête et toutes leurs articulations de liens et de franges en poils de porc-épic, placent des cornes sur leur front, quelquefois une queue à leur dos, et, se tenant accroupis dans la posture d’un animal, ils chantent, hurlent, roulent les yeux, maudissent, commandent à leurs fétiches, et se démènent d’une manière hideuse et bestiale».

      La jonglerie la plus fréquente est la curative. Elle procède soit par succion, soit par incantation, soit par insufflation.

      Au sujet de cette dernière méthode, le Père Le Guen, missionnaire de la Tribu des Esclaves, reçut un jour cette réplique d’un sorcier du Fort-des-Liards qu’il essayait de convertir:

      – Tu nous défends de souffler sur les malades. Et toi donc! Est-ce que tu ne souffles pas sur les enfants, quand tu les baptises, et sur les grandes personnes aussi?

      Les classifications de la sorcellerie ne sont point dues aux observations du missionnaire. Il entend, avec douleur, le tam-tam et les vociférations; mais s’il apparaît soudain parmi les énergumènes, s’il franchit seulement une certaine limite du voisinage, le chaman se déclare paralysé, et la conjuration s’arrête. Les détails connus proviennent des divulgations faites par des sorciers convertis. L’un de ces sorciers, homme de remarquable intelligence, devenu fervent chrétien, dévoila ainsi quelques-uns des longs mystères de la jonglerie curative:

      Lorsque le médecin se propose de guérir un malade, il s’y dispose par un jeûne absolu, ne buvant, ni ne mangeant durant trois ou quatre jours. Alors, il se fait préparer un chounsh, ou loge de médecine. Pendant qu’on la dresse, il demeure assis dans sa tente, et il sait pourtant tout ce qui se passe au dehors. Il sait dans quelle partie de la forêt on a coupé les perches qui serviront à la dresser et quelle est la nature des arbustes qui les ont fournies. Le chounsh ayant été construit loin du camp, et les perches qui le composent