Les bijoux indiscrets. Dénis Diderot. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dénis Diderot
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Эротическая литература
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réparés. J'abolirais ou du moins je diminuerais de moitié les impôts. Pour les pensions, messieurs les beaux esprits, vous n'en tâteriez, ma foi, que d'une dent. De bons officiers, Pongo Sabiam! de bons officiers, de vieux soldats, des magistrats comme nous autres, qui consacrons nos travaux et nos veilles à rendre aux peuples la justice: voilà les hommes sur qui je répandrais mes bienfaits.

      – Ne vous souvient-il plus, messieurs, ajoutait d'un ton capable un vieux politique édenté, en cheveux plats, en pourpoint percé par le coude, et en manchettes déchirées, de notre grand empereur Abdelmalec, de la dynastie des Abyssins, qui régnait il y a deux mille trois cent octante et cinq ans? Ne vous souvient-il plus comme quoi il fit empaler deux astronomes, pour s'être mécomptés de trois minutes dans la prédiction d'une éclipse, et disséquer tout vif son chirurgien et son premier médecin, pour lui avoir ordonné de la manne à contre-temps?

      – Et puis je vous demande, continuait un autre, à quoi bon tous ces bramines oisifs, cette vermine qu'on engraisse de notre sang? Les richesses immenses dont ils regorgent ne conviendraient-elles pas mieux à d'honnêtes gens comme nous?»

      On entendait d'un autre côté: «Connaissait-on, il y a quarante ans, la nouvelle cuisine et les liqueurs de Lorraine? On s'est précipité dans un luxe qui annonce la destruction prochaine de l'empire, suite nécessaire du mépris des Pagodes et de la dissolution des mœurs. Dans le temps qu'on ne mangeait à la table du grand Kanoglou que des grosses viandes, et que l'on n'y buvait que du sorbet, quel cas aurait-on fait des découpures, des vernis de Martin, et de la musique de Rameau? Les filles d'opéra n'étaient pas plus inhumaines que de nos jours; mais on les avait à bien meilleur prix. Le prince, voyez-vous, gâte bien des choses. Ah! si j'étais sultan!

      – Si tu étais sultan, répondit vivement un vieux militaire qui était échappé aux dangers de la bataille de Fontenoi, et qui avait perdu un bras à côté de son prince à la journée de Lawfelt, tu ferais plus de sottises encore que tu n'en débites. Eh! mon ami, tu ne peux modérer ta langue, et tu veux régir un empire! tu n'as pas l'esprit de gouverner ta famille, et tu te mêles de régler l'État! Tais-toi, malheureux. Respecte les puissances de la terre, et remercie les dieux de t'avoir donné la naissance dans l'empire et sous le règne d'un prince dont la prudence éclaire ses ministres, et dont le soldat admire la valeur; qui s'est fait redouter de ses ennemis et chérir de ses peuples, et à qui l'on ne peut reprocher que la modération avec laquelle tes semblables sont traités sous son gouvernement.»

      CHAPITRE XV.

      LES BRAMINES

      Lorsque les savants se furent épuisés sur les bijoux, les bramines s'en emparèrent. La religion revendiqua leur caquet comme une matière de sa compétence, et ses ministres prétendirent que le doigt de Brama se manifestait dans cette œuvre.

      Il y eut une assemblée générale des pontifes; et il fut décidé qu'on chargerait les meilleures plumes de prouver en forme que l'événement était surnaturel, et qu'en attendant l'impression de leurs ouvrages, on le soutiendrait dans les thèses, dans les conversations particulières, dans la direction des âmes et dans les harangues publiques.

      Mais s'ils convinrent unanimement que l'événement était surnaturel, cependant, comme on admettait dans le Congo deux principes, et qu'on y professait une espèce de manichéisme, ils se divisèrent entre eux sur celui des deux principes à qui l'on devait rapporter le caquet des bijoux.

      Ceux qui n'étaient guère sortis de leurs cellules, et qui n'avaient jamais feuilleté que leurs livres, attribuèrent le prodige à Brama. «Il n'y a que lui, disaient-ils, qui puisse interrompre l'ordre de la nature; et les temps feront voir qu'il a, en tout ceci, des vues très-profondes.»

      Ceux, au contraire, qui fréquentaient les alcôves, et qu'on surprenait plus souvent dans une ruelle qu'on ne les trouvait dans leurs cabinets, craignant que quelques bijoux indiscrets ne dévoilassent leur hypocrisie, accusèrent de leur caquet Cadabra, divinité malfaisante, ennemie jurée de Brama et de ses serviteurs.

      Ce dernier système souffrait de terribles objections, et ne tendait pas si directement à la réformation des mœurs. Ses défenseurs même ne s'en imposaient point là-dessus. Mais il s'agissait de se mettre à couvert; et, pour en venir à bout, la religion n'avait point de ministre qui n'eût sacrifié cent fois les Pagodes et leurs autels.

      Mangogul et Mirzoza assistaient régulièrement au service religieux de Brama, et tout l'empire en était informé par la gazette. Ils s'étaient rendus dans la grande mosquée, un jour qu'on y célébrait une des solennités principales. Le bramine chargé d'expliquer la loi monta dans la tribune aux harangues, débita au sultan et à la favorite des phrases, des compliments et de l'ennui, et pérora fort éloquemment sur la manière de s'asseoir orthodoxement dans les compagnies. Il en avait démontré la nécessité par des autorités sans nombre, quand, saisi tout à coup d'un saint enthousiasme, il prononça cette tirade qui fit d'autant plus d'effet qu'on ne s'y attendait point.

      «Qu'entends-je dans tous les cercles? Un murmure confus, un bruit inouï vient frapper mes oreilles. Tout est perverti, et l'usage de la parole, que la bonté de Brama avait jusqu'à présent affecté à la langue, est, par un effet de sa vengeance, transporté à d'autres organes. Et quels organes! vous le savez, messieurs. Fallait-il encore un prodige pour te réveiller de ton assoupissement, peuple ingrat! et tes crimes n'avaient-ils pas assez de témoins, sans que leurs principaux instruments élevassent la voix! Sans doute leur mesure est comblée, puisque le courroux du ciel a cherché des châtiments nouveaux. En vain tu t'enveloppais dans les ténèbres; tu choisissais en vain des complices muets: les entends-tu maintenant? Ils ont de toutes parts déposé contre toi, et révélé ta turpitude à l'univers. O toi qui les gouvernes par ta sagesse! ô Brama! tes jugements sont équitables. Ta loi condamne le larcin, le parjure, le mensonge et l'adultère; elle proscrit et les noirceurs de la calomnie, et les brigues de l'ambition, et les fureurs de la haine, et les artifices de la mauvaise foi. Tes fidèles ministres n'ont cessé d'annoncer ces vérités à tes enfants, et de les menacer des châtiments que tu réservais dans ta juste colère aux prévaricateurs; mais en vain: les insensés se sont livrés à la fougue de leurs passions; ils en ont suivi le torrent; ils ont méprisé nos avis; ils ont ri de nos menaces; ils ont traité nos anathèmes de vains; leurs vices se sont accrus, fortifiés, multipliés; la voix de leur impiété est montée jusqu'à toi, et nous n'avons pu prévenir le fléau redoutable dont tu les as frappés. Après avoir longtemps imploré ta miséricorde, louons maintenant ta justice. Accablés sous tes coups, sans doute ils reviendront à toi et reconnaîtront la main qui s'est appesantie sur eux. Mais, ô prodige de dureté! ô comble de l'aveuglement! ils ont imputé l'effet de ta puissance au mécanisme aveugle de la nature. Ils ont dit dans leurs cœurs: Brama n'est point. Toutes les propriétés de la matière ne nous sont pas connues; et la nouvelle preuve de son existence n'en est qu'une de l'ignorance et de la crédulité de ceux qui nous l'opposent. Sur ce fondement ils ont élevé des systèmes, imaginé des hypothèses, tenté des expériences; mais du haut de sa demeure éternelle, Brama a ri de leurs vains projets. Il a confondu la science audacieuse; et les bijoux ont brisé, comme le verre, le frein impuissant qu'on opposait à leur loquacité. Qu'ils confessent donc, ces vers orgueilleux, la faiblesse de leur raison et la vanité de leurs efforts. Qu'ils cessent de nier l'existence de Brama, ou de fixer des limites à sa puissance. Brama est, il est tout-puissant; et il ne se montre pas moins clairement à nous dans ses terribles fléaux que dans ses faveurs ineffables.

      «Mais qui les a attirés sur cette malheureuse contrée, ces fléaux? Ne sont-ce pas tes injustices, homme avide et sans foi! tes galanteries et tes folles amours, femme mondaine et sans pudeur! tes excès et tes débordements honteux, voluptueux infâme! ta dureté pour nos monastères, avare! tes injustices, magistrat vendu à la faveur! tes usures, négociant insatiable! ta mollesse et ton irréligion, courtisan impie et efféminé!

      «Et vous sur qui cette plaie s'est particulièrement répandue, femmes et filles plongées dans le désordre; quand, renonçant aux devoirs de notre état, nous garderions un silence profond sur vos déréglements, vous portez avec vous une voix plus importune que la nôtre; elle vous suit, et partout elle vous reprochera vos désirs impurs, vos attachements équivoques, vos liaisons criminelles, tant de