Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange. Delaborde Jules. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Delaborde Jules
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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âgée de quarante-trois ans, ou environ, laquelle, après serment par elle faict, a dict que, trente ans a, elle est religieuse professe en ladite abbaye, et qu'elle sçayt que madame Charlotte de Bourbon a esté contraincte d'estre religieuse et faire sa profession par madame la duchesse de Montpensier, sa mère, la menaçant, si elle ne faisoit ladite profession, elle la feroit mener à Frontevrault; depuis lequel temps, depuis deux ans en çà, ladite dame Charlotte de Bourbon avoit dict à feue madame de Reuty, qu'elle n'estoit professe et qu'elle n'avoit faict les vœux ainsi que ladite déposante a ouy dire à madite dame de Reuty; et qu'elle ne sçayt qui lui a donné conseil de laisser son abbaye, sinon d'Averly et quelques autres de la religion prétendue réformée, qui hantoient en ladite maison, qui lui mettoient en opinion qu'elle se damnoit en ladite abbaye. Sçayt ce que dessus pour avoir vû les lettres mesmes envoyées au couvent de ladite dame, et pour avoir esté présente quand plusieurs personnes venoient de la part de madite dame vers ladite dame Charlotte pour luy faire récit des volontés de sadite mère, en quoy faisant, ceste jeune princesse trembloit, et, au moyen de ce, fit la volonté de sadicte mère, dont elle en gagna une fiebvre. Sçayt que, en la profession y eut du murmure des religieuses qui voyoient la manifeste contrainte et les menées avec la force, peu de volonté de ladite abbesse, surprise par le moyen de deux lettres de profession et des belles promesses par ceulx qui estoyent venus pour luy faire faire le vœu, connu par toutes moins que légitime et solennel; joinct que ladicte abbesse ne l'a jamais approuvé, sinon pour faire plaisir, monstrant toujours effect contraire à iceluy.

      »Ainsi signé: sœur Marie Beaucler.

      >»6o. – Sœur Marie de Méry, religieuse professe en l'abbaye de Jouarre, âgée de quarante ans, ou environ, dict que, vingt-cinq ans a, elle est professe en ladite abbaye, et que douze ans a, vu que feue madame Loïse de Givry décéda, et depuis son décez, fut pourvue de ladite abbaye madame Charlotte de Bourbon. Ladite déposante a vû que ladicte dame Charlotte de Bourbon ne vouloit faire profession, et ne l'eust jamais faicte, ains la contrainte de madame sa mère et induction de sa part en ladicte abbaye. Dict aussi qu'elle a ouy dire à sœur Cécile de Crue qu'il falloit qu'elle fust professe, parce que c'étoit la volonté de madame sa mère, à laquelle elle n'oseroit désobéir. Mesme, le jour de sa profession, elle pleuroit tellement, qu'on ne sceut entendre un seul mot de sa profession, et fut la lettre cachée par ladite de Crue; mais ne sçayt ceux qui ont sollicité à faire sortir de ladite abbaye madicte dame.

»Ainsi signé: Marie, sœur de Méry.»Signé: de Gaulnes,»Desmolins.»

      Après avoir échoué sur le terrain de l'enquête, le duc de Montpensier échoua également sur celui des négociations entamées, à la cour d'Heydelberg.

      Le premier président de Thou et le sieur d'Aumont s'étaient rendus auprès de Frédéric III et lui avaient demandé, au nom du roi, de renvoyer Charlotte de Bourbon à son père: l'électeur répondit avec fermeté qu'il ne la lui renverrait qu'à la condition expresse que la princesse serait certaine d'obtenir, pour la sûreté de sa personne et pour le libre exercice de son culte, la protection à laquelle elle avait droit45.

      Les envoyés du roi n'ayant pouvoir de s'engager sur aucun de ces deux points, la négociation qu'ils avaient entamée fut rompue.

      Sa rupture consolida la position de Charlotte, à la cour de l'électeur et de l'électrice; position honorable et sûre, qu'elle avait immédiatement conquise, sans effort, par l'intérêt qu'excitait son infortune, par la franchise de son maintien, par le charme de son caractère, et par le sérieux de ses hautes qualités.

      Jeanne d'Albret, qui suivait, de cœur et de pensée, sa jeune amie sur la terre étrangère, se montra sensible à l'accueil qu'elle y recevait, en lui écrivant46:

      «Ma cousine, sachant la dépesche qui se faisoit en Allemaigne, j'ay escrit à monsieur le comte palatin et à monsieur le duc Casimir, son filz, pour leur mander la bonne nouvelle de la convention du mariage de madame et de mon filz. Je les remercye, par mesme moyen, du bon recueil qu'ils vous ont faict, et les supplie de continuer. Cependant j'estime que ce mariage vous pourra servir, car j'auray meilleur crédict, duquel vous pouvez faire estat comme de la meilleure de vos parentes. J'ay commencé à parler de vostre faict; mais monsieur de Montpensier tient encores les choses, ung petit, aigres. Je ne fauldray de solliciter pour vous et d'employer tout le pouvoir que Dieu m'a donné. Parmy la joye que j'ay du mariage de mon filz, Dieu m'a affligée d'une maladie qu'a ma fille, d'une seconde pleurésie qui luy a repris quatre jours après l'autre. Elle a été saignée: j'espère en Dieu que l'issue en sera bonne; elle est entre ses mains; il en disposera comme il luy plaira. Je luy supplye lui donner ce qu'il sçait lui estre nécessaire, et à vous, ma cousine, ce que vous désirez.

»De Bloys, ce 5e d'apvril 1572.»Vostre bonne cousine et parfaite amye,»Jehanne.»

      La dignité personnelle d'une femme chrétienne, aux prises avec les difficultés inséparables d'une vie de privations, recèle en elle-même des secrets trésors d'abnégation et de délicatesse, que pressent et que respecte, dans sa généreuse sympathie, tout cœur qui aspire à soulager une souffrance noblement supportée.

      Cette touchante vérité se fit sentir, en 1572, à Heydelberg, dans la sincérité de son application.

      La jeune fugitive, à son arrivée, se trouvait dans un état voisin du dénûment. Plus, sans affectation, elle se montrait humblement résolue à en subir les rigoureuses conséquences, plus, de leur côté, l'électeur et l'électrice s'attachèrent, par de judicieux et tendres ménagements, à l'affranchir du malaise inhérent à un tel état. Profondément touchée de leurs prévenances, elle en déclinait cependant en partie les effets, dans la crainte de leur être à charge. Ils ne réussirent à surmonter son extrême réserve et à lui faire accueillir la plénitude de leurs bons offices qu'en la convainquant que le meilleur moyen à adopter, pour leur prouver la réalité de son affection et de sa gratitude, était de les laisser l'aimer et la traiter comme si elle eût été leur propre fille.

      Heureuse de pouvoir, en toute confiance, s'abriter sous la bienveillante protection de l'électeur et de l'électrice, Charlotte de Bourbon rencontra un appui de plus dans le dévouement éprouvé de François d'Averly, seigneur de Minay, qui avait pris à cœur, disait-elle «de la secourir et de l'assister en ses affaires», et qui, de fait, avec l'assentiment de Frédéric III, dont il s'était concilié l'estime, resta auprès d'elle, à Heydelberg, tant qu'elle-même y résida.

      La jeune princesse avait le don de se faire aimer de tous ceux qui l'entouraient. Sa constante bonté la rendait particulièrement chère aux personnes attachées à son service. Au premier rang de celles-ci, se trouvait une femme recommandable, du nom de Tontorf, sur les soins vigilants et sur la fidélité de laquelle elle se reposait. Confidente discrète de maintes pensées et de maints sentiments exprimés dans l'épanchement de la familiarité par sa maîtresse, cette femme de cœur s'élevait, en quelque sorte, à leur niveau, par la seule intensité de son dévouement. Ayant voué à Charlotte de Bourbon une sorte de culte, elle ne la quitta jamais. On verra plus tard dans quelles circonstances la mort seule les sépara l'une de l'autre.

      Dans la douce retraite que ses deux protecteurs lui assuraient à leur côté, par sympathie pour ses épreuves et pour ses convictions religieuses, Charlotte, libre désormais de professer publiquement ces dernières et d'y conformer pleinement sa vie, se fit un devoir de prendre part aux exercices du culte réformé, auquel sa mère s'était rattachée naguères, et que sa sœur, la duchesse de Bouillon, continuait à pratiquer. Elle le fit en toute simplicité, avec un sérieux d'attitude et une modestie de langage qui lui concilièrent le respect de tous.

      Enfin était venu le jour où, éprouvant pour la première fois une réelle dilatation de cœur, elle commençait à goûter le charme d'une existence paisible et utilement employée.

      La reine de Navarre ne cessait de soutenir par d'affectueux conseils sa protégée, ou, pour mieux dire, sa fille adoptive, en même temps qu'elle agissait, dans son intérêt, auprès du duc de Montpensier et de


<p>45</p>

«Il y eut force dépesches vers le comte palatin pour r'avoir Charlotte de Bourbon, mais lui, ne voulant la renvoyer qu'avec bonnes cautions, pour la liberté de la dame en sa vie et en sa religion, le père aima mieux ne l'avoir jamais.» (D'Aubigné, Hist. univ., t. II., liv. Ier, chap. II). – «Le père, grand catholique, avoit redemandé sa fille à l'électeur, vers lequel fut envoyé M. le président de Thou, et puis M. d'Aumont. L'électeur offrit de la renvoyer au roi, pourvu qu'on ne la forçât point dans sa religion; mais M. de Montpensier aima mieux la laisser vivre éloignée de lui que de la voir, à ses yeux, professer une religion qui lui étoit si à contre-cœur.» (Mémoires pour servir à l'histoire de la Hollande et des autres provinces unies par Aubery de Maurier. Paris, in-12, 1688, p. 63.)

<p>46</p>

British museum, mss. Harlay, 1.582, fo 367.