La Comédie humaine - Volume VII. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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énormités. Elle fut donc obligée de dire à ses amis la cause de cet accident.

      — Josette, avait-elle dit avec douceur, que pareille chose n'arrive plus!

      Mademoiselle Cormon était, sans s'en douter, très-heureuse de ces petites querelles qui servaient d'émonctoire à ses acrimonies. L'esprit a ses exigences; il a, comme le corps, sa gymnastique. Ces inégalités d'humeur furent acceptées par Josette et Jacquelin, comme les intempéries de l'atmosphère le sont pour le laboureur. Ces trois bonnes gens disaient: «Il fait beau temps ou il pleut!» sans accuser le ciel. Parfois, en se levant, le matin dans la cuisine, ils se demandaient dans quelle humeur se lèverait mademoiselle, comme un fermier consulte les brumes de l'aurore. Enfin, nécessairement mademoiselle Cormon avait fini par se contempler elle-même dans les infiniment petits de sa vie. Elle et Dieu, son confesseur et ses lessives, ses confitures à faire et les offices à entendre, son oncle à soigner avaient absorbé sa faible intelligence. Pour elle, les atomes de la vie se grossissaient en vertu d'une optique particulière aux gens égoïstes par nature ou par hasard. Sa santé si parfaite donnait une valeur effrayante au moindre embarras survenu dans les tubes digestifs. Elle vivait d'ailleurs sous la férule de la médecine de nos aïeux, et prenait par an quatre médecines de précaution à faire crever Pénélope, mais qui la ragaillardissaient. Si Josette, en l'habillant, trouvait un léger bouton épanoui sur les omoplates encore satinées de mademoiselle, c'était un sujet d'énormes perquisitions dans les différents bols alimentaires de la semaine. Quel triomphe si Josette rappelait à sa maîtresse un certain lièvre trop ardent qui avait dû faire lever ce damné bouton. Avec quelle joie toutes deux disaient: — Il n'y a pas de doute, c'est le lièvre.

      — Mariette l'avait trop épicé, reprenait mademoiselle, je lui dis toujours de faire doux pour mon oncle et pour moi, mais Mariette n'a pas plus de mémoire que...

      — Que le lièvre, disait Josette.

      — C'est vrai, répondait mademoiselle, elle n'a pas plus de mémoire que le lièvre, tu as bien trouvé cela.

      Quatre fois par an, au commencement de chaque saison, mademoiselle Cormon allait passer un certain nombre de jours à sa terre du Prébaudet. On était alors à la mi-mai, époque à laquelle mademoiselle Cormon voulait voir si ses pommiers avaient bien neigé, mot du pays qui exprime l'effet produit sous ces arbres par la chute de leurs fleurs. Quand l'amas circulaire des pétales tombés ressemble à une couche de neige, le propriétaire peut espérer une abondante récolte de cidre. En même temps qu'elle jaugeait ainsi ses tonneaux, mademoiselle Cormon veillait aux réparations que l'hiver avait nécessitées; elle ordonnait les façons de son jardin et de son verger, d'où elle tirait de nombreuses provisions. Chaque saison avait sa nature d'affaires. Mademoiselle donnait avant son départ un dîner d'adieu à ses fidèles, quoiqu'elle dût les retrouver trois semaines après. C'était toujours une nouvelle qui retentissait dans Alençon que le départ de mademoiselle Cormon. Ses habitués, en retard d'une visite, venaient alors la voir; son appartement de réception était plein; chacun lui souhaitait un bon voyage comme si elle eût dû faire route pour Calcutta. Puis le lendemain matin, les marchands étaient sur le pas de leurs portes. Petits et grands regardaient passer la carriole, et il semblait qu'on s'apprît une nouvelle en se répétant les uns aux autres: — Mademoiselle Cormon va donc au Prébaudet!

      Par ici, l'un disait: —Elle a du pain de cuit, celle-là.

      — Hé, mon gars, répondait le voisin, c'est une brave personne; si le bien tombait toujours en de pareilles mains, le pays ne verrait pas un mendiant...

      Par là, un autre: — Tiens, tiens, je ne m'étonne pas si nos vignobles de haute futaie sont en fleurs, voilà mademoiselle Cormon qui part pour le Prébaudet. D'où vient qu'elle se marie si peu?

      — Je l'épouserais bien tout de même, répondait un plaisant: le mariage est à moitié fait, il y a une partie de consentante; mais l'autre ne veut pas. Bah! c'est pour monsieur du Bousquier que le four chauffe!

      — Monsieur du Bousquier?.. elle l'a refusé.

      Le soir, dans toutes les réunions, on se disait gravement: — Mademoiselle Cormon est partie.

      Ou: — Vous avez donc laissé partir mademoiselle Cormon?

      Le mercredi choisi par Suzanne pour son esclandre était, par un effet du hasard, ce mercredi d'adieu, jour où mademoiselle Cormon faisait tourner la tête à Josette pour les paquets à emporter. Donc, pendant la matinée, il s'était dit et passé des choses en ville qui prêtaient le plus vif intérêt à cette assemblée d'adieu. Madame Granson était allée sonner la cloche dans dix maisons, pendant que la vieille fille délibérait sur les encas de son voyage, et que le malin chevalier de Valois faisait un piquet chez mademoiselle Armande de Gordes, sœur du vieux marquis de Gordes dont elle tenait la maison, et qui était la reine du salon aristocratique.

      S'il n'était indifférent pour personne de voir quelle figure ferait le séducteur pendant la soirée, il était important pour le chevalier et pour madame Granson de savoir comment mademoiselle Cormon prendrait la nouvelle en sa double qualité de fille nubile et de présidente de la Société de Maternité. Quant à l'innocent du Bousquier, il se promenait sur le Cours en commençant à croire que Suzanne l'avait joué: ce soupçon le confirmait dans ses principes à l'endroit des femmes. Dans ces jours de gala, la table était déjà mise vers trois heures et demie; car en ce temps le monde fashionable d'Alençon dînait, par extraordinaire, à quatre heures. On y dînait encore, sous l'Empire, à deux heures après midi, comme jadis; mais l'on soupait! Un des plaisirs que mademoiselle Cormon savourait le plus, sans y entendre malice, mais qui certes reposait sur l'égoïsme, consistait dans l'indicible satisfaction qu'elle éprouvait à se voir habillée comme l'est une maîtresse de maison qui va recevoir ses hôtes. Quand elle s'était ainsi mise sous les armes, il se glissait dans les ténèbres de son cœur un rayon d'espoir: une voix lui disait que la nature ne l'avait pas si abondamment pourvue en vain, et qu'il allait se présenter un homme entreprenant. Son désir se rafraîchissait comme elle avait rafraîchi son corps; elle se contemplait dans sa double étoffe avec une sorte d'ivresse, puis cette satisfaction se continuait alors qu'elle descendait pour donner son redoutable coup d'œil au salon, au cabinet et au boudoir. Elle s'y promenait avec le contentement naïf du riche qui pense à tout moment qu'il est riche et ne manquera jamais de rien. Elle regardait ses meubles éternels, ses antiquités, ses laques; elle se disait que de si belles choses voulaient un maître. Après avoir admiré la salle à manger, remplie par la table oblongue où s'étendait une nappe de neige ornée d'une vingtaine de couverts placés à des distances égales; après avoir vérifié l'escadron de bouteilles qu'elle avait indiquées, et qui montraient d'honorables étiquettes; après avoir méticuleusement vérifié les noms écrits sur de petits papiers par la main tremblante de l'abbé, seul soin qu'il prît dans le ménage et qui donnait lieu à de graves discussions sur la place de chaque convive; alors mademoiselle allait, dans ses atours, rejoindre son oncle, qui, vers ce moment le plus joli de la journée, se promenait sur la terrasse, le long de la Brillante, en écoutant le ramage des oiseaux nichés dans le couvert sans avoir à craindre les chasseurs ou les enfants. Durant ces heures d'attente, elle n'abordait jamais l'abbé de Sponde sans lui faire quelques questions saugrenues, afin d'entraîner le bon vieillard dans une discussion qui pût l'amuser. Voici pourquoi, car cette particularité doit achever de peindre le caractère de cette excellente fille.

      Mademoiselle Cormon regardait comme un de ses devoirs de parler: non qu'elle fût bavarde, elle avait malheureusement trop peu d'idées et savait trop peu de phrases pour discourir; mais elle croyait accomplir ainsi l'un des devoirs sociaux prescrits par la religion qui nous ordonne d'être agréable à notre prochain. Cette obligation lui coûtait tant qu'elle avait consulté son directeur, l'abbé Couturier, sur ce point de civilité puérile et honnête. Malgré l'humble observation de sa pénitente qui lui avoua la rudesse du travail intérieur auquel se livrait son esprit pour trouver quelque chose à dire, ce vieux prêtre, si ferme sur la discipline, lui avait lu tout un passage de saint François de Sales sur les devoirs de la femme du monde, sur la décente gaieté des pieuses chrétiennes qui devaient réserver leur sévérité pour elles-mêmes