Henri IV en Gascogne (1553-1589). Charles de Batz-Trenquelléon. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles de Batz-Trenquelléon
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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vaut mieux conserver un seul citoyen que de faire périr mille ennemis.»

      «Un roi qui n'aime point le travail dépend de ceux qui travaillent à sa place.»

      L'histoire, que Henri devait enrichir de lui-même, le passionnait; il était fasciné par les hommes de Plutarque et par les capitaines qui ont illustré nos annales. La Gaucherie applaudissait à son enthousiasme, mais lui en demandait la raison. Un jour que l'entretien roulait sur Coriolan et Camille, Henri marqua hautement sa préférence pour celui-ci et s'éleva contre l'allié des Volsques. Le précepteur l'approuva, mais, pour aller au fond de son cœur, il lui raconta les aventures d'un Coriolan français, la défection du connétable de Bourbon. Ce fut un des premiers chagrins de Henri, obligé de reconnaître qu'il y avait eu un mauvais Français dans sa famille. Honteux et indigné, il s'élance vers une carte généalogique toujours à sa portée, et, à la place du nom du connétable, inscrit celui de Bayard.

      On rapporte qu'il avait du goût pour les arts et de l'élégance dans l'écriture. La Bibliothèque royale posséda jadis le dessin à la plume d'un vase antique au-dessous duquel il avait écrit: Opus principis otiosi. Quant à son écriture d'enfant, elle est venue jusqu'à nous, et l'on peut voir, dans le recueil des Lettres missives, le fac-simile du billet suivant, qu'à l'âge de huit ou neuf ans, il adressait au roi de Navarre, absent de la cour: «Mon père, quand j'ai su que Fallesche (Falaische, maître d'hôtel d'Antoine de Bourbon) vous allait trouver, incontinent, je me suis mis à écrire la présente, et vous mander la bonne santé de ma mère, de ma sœur et la mienne. Je prie Dieu que la vôtre soit encore meilleure. – Votre très humble et très obéissant fils. Henry.»

      A l'époque où il écrivait ces lignes (1562), Henri était l'enfant vigoureux et alerte dont la statuaire a si heureusement popularisé l'image. On aime à se le représenter traversant les salles du Louvre ou les rues de Paris, la plume au vent, le jarret tendu, la main à la garde de sa petite épée, la tête pleine de ces rêves d'enfant royal que dépassèrent, quels qu'ils fussent, les réalités de son règne. Son esprit mûrissait vite, bien que, grâce à son âge et selon les ordres de Jeanne d'Albret, il fût tenu autant que possible dans l'ignorance des choses de la cour et de la politique. Ses relations d'écolier au collège de Navarre, dont il suivit les classes, tout en restant sous la direction de La Gaucherie et de Beauvais, contribuèrent beaucoup à son développement intellectuel. Il s'y rencontra avec le duc d'Anjou, plus tard Henri III, et avec Henri de Guise. Déjà, pour exciter son émulation, La Gaucherie avait associé à ses études Agrippa d'Aubigné, plus âgé que lui de trois ans et d'une intelligence précoce. Le prince de Navarre fut ce qu'il fallait être dans cette compagnie: il n'y oublia pas sa première existence, mais il en retira de nouveaux avantages par le contact, par l'exemple, par les inspirations d'un amour-propre sagement réglé.

      La Gaucherie était un calviniste convaincu, non un sectaire. Il avait reçu de Jeanne d'Albret la mission d'élever son fils dans les principes de la Réforme, qu'elle avait embrassés elle-même, quoique sans éclat, depuis son départ de Pau, après la mort de François II. Nous aurons à raconter cet incident et quelques autres non moins graves. La Gaucherie tournait donc l'esprit de son élève vers le calvinisme, mais aucun témoignage historique ne l'accuse d'avoir cherché à le fanatiser: le sentiment religieux, tel que le doivent honorer toutes les communions, fut fortement imprimé par La Gaucherie dans le cœur du prince. L'austère précepteur ayant surpris, un jour, l'écolier dans un accès d'ambition enfantine, lui dit: «Vous vous proposez de faire, dans l'avenir, aussi bien et mieux que beaucoup d'autres princes; mais comment justifiez-vous cette prétention?» Henri invoqua son désir, sa volonté, son courage. « – Cela n'est rien, repartit La Gaucherie, si Dieu n'y met sa main toute-puissante.» Cette main, Henri, enfant ou roi, la sentit et la révéra toujours dans les événements de sa vie. Il eut ses défauts et ses vices; jamais on ne put lui reprocher un acte d'impiété. Il avait appris de La Gaucherie, homme scrupuleux, à remplacer les jurements à la mode par l'innocent juron de «Ventre-saint-gris!» Ses discours, ses lettres, même ses billets galants, sont d'un homme qui croit et prie. Bien longtemps après que les préceptes de La Gaucherie ne lui rappelaient plus son devoir, il se laissa aller aux habitudes de libertinage de la cour; mais cette faiblesse, dont il ne sut pas se corriger, même dans l'âge mûr, amoindrit l'homme, non le souverain. Tempérament déréglé, âme saine, sa vie privée fut un mélange surprenant de fautes scandaleuses et de traits admirables, entre lesquels la balance reste en suspens. Ce qui l'incline irrésistiblement du côté de la sympathie et de la gloire, ce sont les royales vertus que rappellera toujours le nom de Henri IV.

      La Gaucherie semble avoir eu le pressentiment du rôle historique destiné à son élève: il l'instruisait moins en prince qui doit régner qu'en prince qui doit conquérir son royaume. L'esprit d'ordre dominait le système d'éducation: les heures réglées, chaque instant mis à profit, le temps multiplié par son emploi. La Gaucherie, voyant les Valois se flétrir sur leurs dernières tiges, pouvait bien prévoir, en effet, que Henri aurait, plus tard, besoin de savoir ce que vaut une heure dans la lutte des partis et les accidents de la politique. Instinctivement, il dota le prince de Navarre de deux de ses qualités maîtresses, la ponctualité et l'activité, qui lui valurent, dans la suite, tant de ressources et de victoires. Bien plus, Henri garda, dans une juste mesure, les habitudes de frugalité de Coarraze, le mépris du luxe et des douceurs de la vie, sans en excepter le doux sommeil lui-même.

      Vers la douzième année, La Gaucherie, content de ses progrès intellectuels, redoubla de sollicitude pour son développement physique, d'autant plus que le temps de l'instruction militaire était venu. Ce furent alors de rudes chevauchées, des chasses obligatoires, à heure fixe et par tous les temps, des nuits passées dans quelque chaumière, sur une paillasse et sous un manteau, le mouvement jusqu'à la fatigue, la fatigue vaincue. Aussi, lorsque La Coste, lieutenant aux gardes de Charles IX, le reçut au milieu d'un groupe de jeunes gentilshommes confiés à ses soins, Henri n'eut aucune répugnance à passer sous le niveau égalitaire. En peu de temps, il devint un petit soldat modèle. Il s'amouracha de l'uniforme au point que Charles IX lui reprochant d'avoir répudié ses habits de gala, il répondit: «Sire, mon plus bel habit, et qui me plaît le mieux, est celui qui me rappelle que je suis au service du roi». Il eut, plus d'une fois, la tentation de faire ses premières armes avec quelques-uns de ces gentilshommes précoces qui, au XVIe siècle, allaient au feu avant même l'adolescence.

      Pendant son séjour à la cour de Charles IX, Henri eut à subir plusieurs épreuves pénibles, dont nous parlerons en reprenant le récit des faits politiques. Le jeune roi, quoique violent et capricieux, lui montrait de la cordialité; mais on assure que la reine-mère finit par laisser percer, à son égard, des sentiments empreints de peu de sympathie. A vrai dire, les relations souvent hostiles de la cour de France avec la cour de Navarre devaient le faire considérer comme un otage par Catherine de Médicis. D'un autre côté, il n'est pas déraisonnable de croire qu'elle voyait d'un œil jaloux et inquiet cet enfant, à qui pouvait échoir le trône des Valois, si leur sang appauvri venait à se tarir. Il faut ajouter que le caractère du fils de Jeanne d'Albret se marquait, en mainte circonstance, par des traits qu'il était impossible de ne pas retenir. Il connaissait son rang et le gardait; au besoin, il tenait tête à Charles IX, quand le jeune roi jouait au tyran; les princes et les grands seigneurs qu'il coudoyait n'auraient pas impunément traité sans conséquence le «petit Vendômet», comme l'appelaient les ennemis des Maisons de Bourbon et d'Albret. Henri pensait, et parfois un mot, un regard, un éclair de fierté ou d'enthousiasme, trahissait sa pensée. Ce fut ainsi que, dans une loterie de cour où chacun fournissait une devise, il choisit celle-ci, écrite en grec: «Vaincre ou mourir». Catherine de Médicis lui en ayant demandé la traduction, il refusa de satisfaire sa curiosité. Etonnée de ce caprice, la reine-mère voulut en avoir le cœur net, et quand on lui eut traduit la devise, elle en parut mécontente, disant que de telles pensées n'étaient bonnes qu'à faire du jeune prince «un enfant opiniâtre». Elle prévoyait peut-être, non l'opiniâtreté, mais la constance dans les desseins, qui fut, en effet, une des grandes qualités de Henri.

      Outre les chagrins de famille qui l'affligèrent en certaines circonstances, pendant qu'il vivait à la cour, il eut à souffrir de l'isolement où le tenait l'absence de sa mère: on lui parlait d'elle, il lui