Le cabinet, à la tête duquel se trouvait placé le duc de Richelieu, s'occupait activement des affaires. La France reprenait son rang parmi les nations; on commençait à compter avec elle. La question d'Orient s'entamait et elle prétendait [avoir] place au banquet. La prospérité intérieure s'établissait avec la tranquillité. La Chambre des pairs avait montré une grande indulgence envers les conspirateurs du mois d'août 1820; mais la sagesse du gouvernement maintenait les artisans de trouble dans le respect et cette longanimité n'avait pas eu de grands inconvénients. Des lois sages se préparaient. Tout enfin annonçait la session comme devant être calme et utile pour le pays.
Le ministère, occupé de ses travaux et composé de gens éloignés des intrigues de la Cour, ignorait ou attachait trop peu d'importance à ce qui s'y tramait.
Le roi Louis XVIII avait besoin d'un favori. L'éloignement de monsieur Decazes le laissait dans un isolement qu'il lui fallait combler. Si un des ministres avait voulu prendre ce rôle, le Roi s'y serait prêté volontiers, mais aucun n'était propre à le remplir.
Le hasard conduisit madame du Cayla dans le cabinet du monarque. Elle avait des restes de beauté, était spirituelle, intrigante et possédait surtout un fond de bassesse que rien n'épouvantait. Les tristes séductions employées auprès du vieux Roi ne le cédaient qu'à l'ignoble salaire qu'elle en recevait. Si le ministère avait été plus éclairé sur ses manœuvres, on aurait pu la retenir dans une situation subalterne et mercenaire: l'or aurait suffi à son âpreté; mais il la méprisa trop. Elle eut le temps d'établir son influence et voulut l'exercer politiquement.
Je ne sais si elle conçut l'idée d'allier sa fortune à celle de monsieur de Villèle ou si monsieur de Villèle pensa le premier à se servir de ce vil instrument, mais, ce dont je suis sûre, c'est que Sosthène de La Rochefoucauld, depuis de longues années le soupirant plus ou moins heureux de madame du Cayla, devint l'intermédiaire de cette alliance encore très secrète. Une fois conclue, on y fit facilement entrer Monsieur, et la chute du ministère Richelieu fut décidée dans ce petit conseil, sous le patronage de la Congrégation.
L'intrigue éclata dès l'ouverture de la session. On proposa dans l'adresse, en réponse au discours du Roi, une phrase qui se pouvait interpréter comme un blâme aux ministres, et il fut bientôt évident qu'elle serait soutenue par les deux oppositions, de droite et de gauche, réunies pour attaquer le ministère dans cette conjoncture.
Les doctrinaires, sous l'influence de leur chef monsieur Royer-Collard, firent l'appoint de cette majorité factice, bien persuadés qu'ils étaient devoir tomber en trois mois un ministère ultra et d'être appelés à le remplacer.
Monsieur Royer-Collard possède une de ces ambitions occultes qui prétend tout obtenir en ayant l'air de tout dédaigner. Il n'en est pas de plus dangereuses ni de plus amère. Il s'était fait une grande existence avec un peu de talent et beaucoup d'emphase. On peut citer de lui deux ou trois discours remarquables et un grand nombre de mots, plus creux que profonds, mais qui ont eu grande vogue pendant un certain temps.
L'alliance précaire des partis était le résultat des manœuvres de monsieur de Villèle. Si le ministère avait méprisé cette union contre nature, elle ne pouvait durer huit jours; mais monsieur de Villèle s'était bien flatté de trouver monsieur de Richelieu trop honorablement susceptible pour s'obstiner à garder une place où il semblait atteint par la désapprobation d'un des organes de la nation. Son espérance fut justifiée. Ce fut une faute, car la Chambre des députés parlait au nom de l'intrigue; mais ces genres de fautes n'appartiennent qu'aux plus nobles caractères. D'ailleurs le Roi, déjà gagné par les blandices de madame du Cayla, loin de solliciter ses ministres de braver une situation évidemment transitoire, les encouragea à faire du vote de l'adresse une question de cabinet.
Lorsqu'il fut constaté que tout le parti ultra, dont Monsieur était le chef, travaillait aussi activement que lui-même au renversement du ministère, monsieur de Richelieu alla trouver le prince et lui demanda compte de cette parole de gentilhomme donnée, avec tant de solennité, l'année précédente.
Monsieur ne se déconcerta nullement: «Oh! je vous en aurais dit bien d'autres pour vous faire accepter alors; les temps étaient si mauvais que nous étions encore heureux de n'être réduits qu'à vous et de pouvoir nous arrêter aux gens de votre nuance d'opinion; mais vous comprenez bien, mon cher duc, que cela ne pouvait durer.»
Monsieur de Richelieu lui tourna le dos, avec plus d'indignation que de respect. Il rassembla ses collègues et, après une longue conférence, ils conclurent que, s'il était facile de résister à la coalition improvisée des deux oppositions et à sa majorité factice, il était impossible, en revanche, de gouverner utilement avec l'hostilité de Monsieur. Rien n'aurait été plus aisé que de le rendre odieux au pays en démasquant ses intrigues, ses intentions et de le reléguer à n'être qu'un chef de faction; mais le cabinet était composé de gens trop consciencieux et trop royalistes pour vouloir achever de dépopulariser un prince, héritier de la couronne, que la santé du Roi plaçait sur l'estrade même du trône.
En conséquence, les ministres décidèrent de se retirer en masse et le duc de Richelieu fut chargé d'en prévenir le Roi. Celui-ci, arrivé au dénouement, fut fort troublé: «Mon Dieu, dit-il, en mettant sa tête entre ses mains, que vais-je devenir? Que veulent-ils faire? Que va-t-on m'imposer?»
Monsieur de Richelieu l'engagea à voir Monsieur et à se concerter avec lui. Peu d'heures après, il reçut un billet du Roi qui le mandait en toute hâte. Il le trouva seul dans son cabinet, le visage radieux: «Venez vite, mon cher Richelieu, votre conseil était excellent. J'ai vu mon frère; j'en suis parfaitement content: il est très sage, tout est arrangé; vous pouvez vous en aller quand vous voudrez.»
Voilà quelles furent les expressions de la reconnaissance royale pour tous les services et tout le dévouement du duc de Richelieu. Je l'ai vu lui-même sourire en les répétant, mais ce sourire avait quelque chose de triste qui marquait un cœur profondément ulcéré.
Monsieur de Richelieu avait, aux yeux de toute la famille royale, un tort indélébile que rien ne pouvait effacer. Pendant l'émigration et au moment où la fondation d'Odessa l'occupait le plus activement, l'année de son service de premier gentilhomme de la chambre auprès de Louis XVIII vint à sonner. Le duc pria le duc de Fleury, son camarade, établi à Mittau chez le Roi, de le remplacer et négligea de venir prendre son poste dans une antichambre d'émigration. Pour les princes de la maison de Bourbon, le service auprès de leur personne est toujours le principal devoir. Jamais ils n'ont pardonné ce premier grief au duc de Richelieu. Il avait, de plus, pour leur déplaire, les titres qu'y donnaient un esprit droit et sage et une noble indépendance de caractère.
L'empressement du Roi pour obtenir la retraite de ses ministres était devenu si grand qu'il fit réclamer jusqu'à trois fois dans la soirée, leur démission. La difficulté de se réunir tous, à une heure insolite, pour la rédiger en commun, en avait retardé l'envoi. On sut depuis qu'il avait promis à madame du Cayla qu'elle lui serait remise avant l'heure de son coucher. En effet, elle la reçut à minuit.
Ici se termine le règne de Louis XVIII; il n'a plus été qu'un instrument entre les mains des agents de Monsieur qui, lui-même, obéissait à la Congrégation. Lorsque monsieur de Villèle a cherché à s'en affranchir, il est tombé comme les autres.
J'ai dit que Sosthène de La Rochefoucauld était depuis nombre d'années dans des relations intimes avec madame du Cayla. Sa femme en témoignait du chagrin, et son beau-père et sa belle-mère une humeur qu'ils ne manquaient pas une occasion de faire éclater.
Mais, depuis la faveur de madame du Cayla, ils avaient changé d'allure. Ils s'étaient graduellement rapprochés, et monsieur et madame Mathieu de Montmorency passaient leur vie chez elle. Ce raccommodement obtint pour salaire le ministère des affaires étrangères pour Mathieu. Sosthène racontait qu'il avait d'abord pensé à le prendre lui-même, mais il avait trouvé plus romain de l'abandonner à son beau-père: «J'ai fait des rois, seigneur, et n'ai pas voulu l'être.»
Il n'y eut pas de président du conseil. Monsieur de Villèle n'osait pas encore y prétendre