L'inutile beauté. Guy de Maupassant. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Guy de Maupassant
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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de lui était là, dans cette chair souillée, dans ce corps vil, dans cette créature immonde, un enfant de lui! Alors il se rua sur elle pour les écraser tous les deux, anéantir cette double honte. Elle eut peur, se sentant perdue, et comme elle roulait sous son poing, comme elle voyait son pied prêt à frapper par terre le flanc gonflé où vivait déjà un embryon d’homme, elle lui cria, les mains tendues pour arrêter les coups:

      – Ne me tue point. Ce n’est pas à toi, c’est à lui.

      Il fit un bond en arrière, tellement stupéfait, tellement bouleversé que sa fureur resta suspendue comme son talon, et il balbutia:

      – Tu… tu dis?

      Elle, folle de peur tout à coup devant la mort entrevue dans les yeux et dans le geste terrifiants de cet homme, répéta:

      – Ce n’est pas à toi, c’est à lui.

      Il murmura, les dents serrées, anéanti:

      – L’enfant?

      – Oui.

      – Tu mens.

      Et, de nouveau, il commença le geste du pied qui va écraser quelqu’un, tandis que sa maîtresse, redressée à genoux, essayant de reculer, balbutiait toujours.

      – Puisque je te dis que c’est à lui. S’il était à toi, est-ce que je ne l’aurais pas eu depuis longtemps?

      Cet argument le frappa comme la vérité même. Dans un de ces éclairs de pensée où tous les raisonnements apparaissent en même temps avec une illuminante clarté, précis, irréfutables, concluants, irrésistibles, il fut convaincu, il fut sûr qu’il n’était point le père du misérable enfant de gueuse qu’elle portait en elle; et, soulagé, délivré, presque apaisé soudain, il renonça à détruire cette infâme créature.

      Alors il lui dit d’une voix plus calme:

      – Lève-toi, va-t-en, et que je ne te revoie jamais.

      Elle obéit, vaincue, et s’en alla.

      Il ne la revit jamais.

      Il partit de son côté. Il descendit vers le Midi, vers le soleil, et s’arrêta dans un village, debout au milieu d’un vallon, au bord de la Méditerranée. Une auberge lui plut qui regardait la mer; il y prit une chambre et y resta. Il y demeura dix-huit mois, dans le chagrin, dans le désespoir, dans un isolement complet. Il y vécut avec le souvenir dévorant de la femme traîtresse, de son charme, de son enveloppement, de son ensorcellement inavouable, et avec le regret de sa présence et de ses caresses.

      Il errait par les vallons provençaux, promenant au soleil tamisé par les grisâtres feuillettes des oliviers, sa pauvre tête malade où vivait une obsession.

      Mais ses anciennes idées pieuses, l’ardeur un peu calmée de sa foi première lui revinrent au coeur tout doucement dans cette solitude douloureuse. La religion qui lui était apparue autrefois comme un refuge contre la vie inconnue, lui apparaissait maintenant comme un refuge contre la vie trompeuse et torturante. Il avait conservé des habitudes de prière. Il s’y attacha dans son chagrin, et il allait souvent, au crépuscule, s’agenouiller dans l’église assombrie où brillait seul, au fond du choeur, le point de feu de la lampe, gardienne sacrée du sanctuaire, symbole de la présence divine.

      Il confia sa peine à ce Dieu, à son Dieu, et lui dit toute sa misère. Il lui demandait conseil, pitié, secours, protection, consolation, et dans son oraison répétée chaque jour plus fervente, il mettait chaque fois une émotion plus forte.

      Son coeur meurtri, rongé par l’amour d’une femme, restait ouvert et palpitant, avide toujours de tendresse; et peu à peu, à force de prier, de vivre en ermite avec des habitudes de piété grandissantes, de s’abandonner à cette communication secrète des âmes dévotes avec le Sauveur qui console et attire les misérables, l’amour mystique de Dieu entra en lui et vainquit l’autre.

      Alors il reprit ses premiers projets, et se décida à offrir à l’Église une vie brisée qu’il avait failli lui donner vierge.

      Il se fit donc prêtre. Par sa famille, par ses relations il obtint d’être nommé desservant de ce village provençal où le hasard l’avait jeté, et, ayant consacré à des oeuvres bienfaisantes une grande partie de sa fortune, n’ayant gardé que ce qui lui permettrait de demeurer jusqu’à sa mort utile et secourable aux pauvres, il se réfugia dans une existence calme de pratiques pieuses et de dévouement à ses semblables.

      Il fut un prêtre à vues étroites, mais bon, une sorte de guide religieux à tempérament de soldat, un guide de l’Église qui conduisait par force dans le droit chemin l’humanité errante, aveugle, perdue en cette forêt de la vie où tous nos instincts, nos goûts, nos désirs, sont des sentiers qui égarent. Mais beaucoup de l’homme d’autrefois restait toujours vivant en lui. Il ne cessa pas d’aimer les exercices violents, les nobles sports, les armes, et il détestait les femmes, toutes, avec une peur d’enfant devant un mystérieux danger.

      II. Le matelot qui suivait le prêtre se sentait sur la langue une envie toute méridionale de causer…

      Le matelot qui suivait le prêtre se sentait sur la langue une envie toute méridionale de causer. Il n’osait pas, car l’abbé exerçait sur ses ouailles un grand prestige. À la fin il s’y hasarda.

      – Alors, dit-il, vous vous trouvez bien dans votre bastide, monsieur le curé?

      Cette bastide était une de ces maisons microscopiques où les provençaux des villes et des villages vont se nicher, en été, pour prendre l’air. L’abbé avait loué cette case dans un champ, à cinq minutes de son presbytère, trop petit et emprisonné au centre de la paroisse, contre l’église.

      Il n’habitait pas régulièrement, même en été, cette campagne; il y allait seulement passer quelques jours de temps en temps, pour vivre en pleine verdure et tirer au pistolet.

      – Oui, mon ami, dit le prêtre, je m’y trouve très bien.

      La demeure basse apparaissait bâtie au milieu des arbres, peinte en rose, zébrée, hachée, coupée en petits morceaux par les branches et les feuilles des oliviers dont était planté le champ sans clôture où elle semblait poussée comme un champignon de Provence.

      On apercevait aussi une grande femme qui circulait devant la porte en préparant une petite table à dîner où elle posait à chaque retour, avec une lenteur méthodique, un seul couvert, une assiette, une serviette, un morceau de pain, un verre à boire. Elle était coiffée du petit bonnet des Arlésiennes, cône pointu de soie ou de velours noir sur qui fleurit un champignon blanc.

      Quand l’abbé fut à portée de la voix, il lui cria:

      – Eh! Marguerite?

      Elle s’arrêta pour regarder, et reconnaissant son maître:

      – Tè c’est vous, monsieur le curé?

      – Oui. Je vous apporte une belle pêche, vous allez tout de suite me faire griller un loup, un loup au beurre, rien qu’au beurre, vous entendez?

      La servante, venue au devant des hommes, examinait d’un oeil connaisseur les poissons portés par le matelot.

      – C’est que nous avons déjà une poule au riz, dit-elle.

      – Tant pis, le poisson du lendemain ne vaut pas le poisson sortant de l’eau. Je vais faire une petite fête de gourmand, ça ne m’arrive pas trop souvent; et puis, le péché n’est pas gros.

      La femme choisissait le loup, et comme elle s’en allait en l’emportant, elle se retourna:

      – Ah! Il est venu un homme vous chercher trois fois, monsieur le curé.

      Il demanda avec indifférence.

      – Un homme! Quel genre d’homme?

      – Mais un homme qui ne se recommande pas de lui-même.

      – Quoi! Un mendiant?

      – Peut-être, oui, je ne dis pas. Je croirais plutôt