L'île de sable. Emile Chevalier. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Chevalier
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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à leurs frais, ou autrement, le pourront en toute liberté, mais qu'il ne sera pas permis de faire le commerce sans sa permission, et cela sous peine de confiscation de leurs navires, marchandises et autres effets; qu'en cas de maladie ou de mort il pourra, par testament ou autrement nommer un ou deux lieutenants pour tenir sa place; qu'il aura la liberté de faire dans tout le royaume la levée des ouvriers et autres gens nécessaires pour le succès de son entreprise: finalement, qu'il jouira des mêmes pouvoirs, privilèges, puissance et autorité, dont le sieur de Roberval avait été gratifié par le feu roi François premier.

      «Donné en notre palais du Louvre, en notre bonne ville de Paris, ce douzième jour de janvier de l'an de grâce mil cinq cent quatre-vingt-dix-huit et de notre règne le neuvième.

      «Signé, HENRY de France et de Navarre.[1]»

      – Jean, dit le marquis, quand il eut terminé sa lecture.

      – Monseigneur!

      – Vous avez étudié la relation de Jacques Cartier?

      L'écuyer s'inclina affirmativement.

      – Et vous êtes toujours résolu de m'accompagner? poursuivit Guillaume de la Roche, en enveloppant le jeune homme d'un regard inquisiteur.

      – Oui, messire, répliqua l'écuyer sans hésitation.

      – Les périls, les dangers ne vous effrayent pas?

      – Je sors d'une famille où la peur est mot vide de sens. Sur notre devise on a gravé: Audaces fortuna juvat! Ce qui signifie, pour moi, que l'homme ne doit jamais trembler quand il poursuit une noble entreprise.

      – Bien, dit Guillaume; j'aime à vous entendre parler de la sorte. Mais vous savez le but de notre expédition en Acadie?

      – Fonder une colonie.

      – Ce n'est pas tout, reprit le marquis avec exaltation; oh! ce n'est pas tout! Que dis-je, c'est la moindre cause! Il s'agit, mon enfant, de propager les doctrines que notre Sauveur, Jésus-Christ, a transmises au monde, par la voie de la sainte Église catholique, apostolique et romaine! il s'agit, mon cher enfant, de porter le flambeau de lumière et de vérité au milieu des peuplades ignorantes et idolâtres qui habitent les forêts de l'Amérique du Nord; il s'agit de faire notre salut, de mériter le ciel en convertissant les Indiens à notre religion! il s'agit,– et de la Roche baissa la voix,– d'empêcher les hérétiques, les huguenots— vous m'entendez, Jean— de distiller sur la Nouvelle-France le venin de leurs dogmes mensongers, comme ils avaient déjà essayé de le faire à Charlefort, à l'instigation de Coligny!

      Après cette sortie, dictée par le fanatisme religieux de l'époque, de la Roche-Gommard pencha la tête sur sa poitrine et se livra à une profonde méditation. Mais s'il eût jeté les yeux vers son écuyer, il aurait été surpris de l'altération qu'il avait subie, depuis quelques instants, Jean de Ganay était d'une pâleur livide; ses traits se contractaient, ses muscles frémissaient, il semblait se débattre contre une colère sourde dont il voulait comprimer l'essor, et se mordait furieusement les lèvres, comme pour refouler les paroles qui affluaient à sa bouche. Peu à peu, cependant, il se maîtrisa, et quand le marquis s'arracha à ses pensées, Jean était calme ou du moins paraissait l'être.

      – Vous m'avez compris? demanda le seigneur de la Roche.

      – Je vous ai compris, répondit froidement Jean.

      – Et vous viendrez, la croix d'une main, la houe de l'autre? et si je succombe…

      – Je veillerai à l'accomplissement de vos dernières volontés.

      – Merci, Jean, dit le marquis, se levant et prenant la main du vicomte qu'il trouva moite et glacée; merci; vous serez un jour la gloire de la chrétienté. A demain! Faites vos apprêts pour le départ.

      De Ganay se retira et Guillaume de la Roche alla se prosterner devant son crucifix.

      IV. L'ONCLE ET LA NIÈCE

      Cependant, Laure de Kerskoên s'était de nouveau jetée dans sa chaire et elle réfléchissait.

      – Quelle folie! m'écrire qu'il viendra ce soir! ne lui avais-je pas dit que j'attendais mon oncle! Mais, que signifient ces mots: «Ne craignez rien. Mes précautions sont bien prises; demain, si vous le voulez, nous serons unis par des liens indissolubles!» Oh! je tremble! que prétend-il faire? Cher Bertrand, il est capable de tout… il m'aime tant!… Pourquoi faut-il qu'une inimitié mortelle divise nos parents? Mais, non, non, je n'aurai jamais d'autre époux que lui au monde! oh! plutôt je préférerais m'enterrer dans un cloître! Mon amour n'est-il pas juste, n'est-il pas légitime? mon existence ne la dois-je pas à ce valeureux champion? Où serais-je sans lui, bonne Sainte-Marie! Au péril de sa vie, il m'a arrachée aux flammes qui dévoraient le couvent de ma tante… Comme il est beau, comme il est brave! Et puis, si timide avec moi! affrontant tous les dangers pour venir soupirer un instant sous les fenêtres de sa reine! Quelle différence avec ce Jean de Ganay, dont les assiduités m'importunent! D'ailleurs, quoi qu'en pense le marquis de la Roche, il ne me semble pas loyal catholique, le Bourguignon! Je ne me souviens pas de lui avoir vu faire le signe de la croix, et il trouve toujours un prétexte pour ne pas assister au divin sacrifice de la messe. Bien au contraire, Bertrand n'y manque jamais, lui! Chaque dimanche, déguisé en serf, je l'aperçois pieusement humilié en un coin de l'église du hameau, où je vais régulièrement depuis la mort de notre digne chapelain… Venir ce soir, quelle imprudence! Si je pouvais l'avertir! Impossible, Adresse est trop grièvement blessée! Que résoudre?… Si je savais où il est!… Et cet écuyer qui rôde sans cesse sur les remparts! En disant à monseigneur de la Roche de doubler les gardes, parce que… parce que… Mauvais moyen, mauvais moyen; mon oncle concevrait des soupçons! Fatalité! quelque magicien m'aura jeté un sort, c'est sûr… Il faut implorer le secours de ma miséricordieuse patronne!

      Ayant formé ce dessein, la dévotieuse jeune fille courut s'agenouiller devant son prie-Dieu.

      Tandis qu'elle était ainsi prosternée, Guillaume de la Roche entra sans bruit chez elle.

      Ne voulant point troubler ses oraisons, il allait se retirer, car il était bien loin de se douter, le rigide tuteur, que c'était une pensée terrestre, une pensée mondaine, une pensée d'amante insoumise, qui absorbait ainsi l'attention de sa pupille; mais tout à coup celle-ci s'écria avec allégresse:

      – Oh! merci, merci! bienheureuse patronne, vous avez exaucé mes voeux; il est sauvé!

      – Qui cela? demanda le marquis.

      – Monseigneur de la Roche! balbutia Laure interdite.

      – Eh bien! chère enfant, est-ce ainsi que vous recevez votre oncle après deux mois d'absence?

      – Pardon, pardon, dit Laure en rougissant, je…

      – Vous ne m'attendiez pas, méchante fille, reprit Guillaume en la baisant tendrement au front. Mais grâce au ciel, nous sommes revenus sains et saufs et tout est prêt pour notre prochain départ.

      – Votre prochain départ!

      – Ah! ma mie, vous gémirez, car j'emmène avec moi le chevalier de vos pensées. Jean de Ganay m'accompagnera à la Nouvelle-France. Ça, ne te désole pas, ma Laurette; ne baisse pas ces grands yeux bleus pour cacher ton affliction. Je te promets de te le rendre dans un an au plus.

      – Mais, monseigneur…

      – Mais quoi, mademoiselle? dit Guillaume en s'asseyant et l'attirant sur ses genoux.

      – Mais…

      – Puisque je te promets de te le rendre. Ne vas-tu pas être jalouse de ton vieil oncle? La séparation vous fortifiera tous deux, et vous me saurez gré de vous avoir tenus éloignés durant quelque temps. Tu passeras ton veuvage chez l'abbesse du moustier de Blois.

      – Mais, mon oncle, dit enfin la jeune châtelaine qui s'était peu à peu remise de son émotion, ne m'avez-vous pas annoncé que votre projet de fonder une colonie à la Nouvelle-France était ajourné?

      – Ah!


<p>1</p>

On comprend que la lettre que nous donnons ici n'est qu'un abrégé très-succinct de celle qui accordait à Guillaume de la Roche la lieutenance du Canada. Publier la lettre en entier eût été un hors-d'oeuvre qui aurait nui à l'intérêt dramatique de notre récit.