Les aventures du capitaine Corcoran. Alfred Assollant. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Alfred Assollant
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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donna un coup de dents désespéré à son adversaire et s'élança, en grimpant avec la rapidité de l'éclair, sur un chêne voisin, dans les branches duquel il parut chercher un asile.

      L'autre, se croyant maître du champ de bataille, entonna, d'une voix qui ressemblait à un tonnerre lointain, son chant de triomphe.

      Mais ce chant fut aussi court que sa victoire. Le vaincu, se glissant d'arbre en arbre jusqu'à un sycomore dont les branches pendaient à peu de distance du vainqueur, bondit tout à coup sur lui et, d'un effort désespéré, le saisit à la gorge et l'étrangla net.

      Cette fois, la bataille était terminée, et le grand tigre parut attendre les félicitations de Louison. Celle-ci, charmée du courage de son frère, se décida enfin à sauter à bas du mur et disparut dans les ténèbres.

      Corcoran eut d'abord envie de la suivre, mais il réfléchit que la nuit était obscure et pleine de piéges, et qu'il valait mieux attendre le lever du jour. Il rentra donc, très-affligé de la perte de Louison, et s'endormit bientôt, mais d'un sommeil agité.

      Le matin, au moment où il sortait du palais, décidé à lui donner la chasse, il la vit revenir d'un air aussi gai et d'un coeur aussi content que si elle n'avait rien eu à se reprocher.

      A cette vue, le Malouin ne fut pas maître de sa colère, et il alla chercher Sifflante, sa fameuse cravache.

      Louison demeura stupéfaite. Elle était allée se promener; quoi de plus naturel? N'était-elle pas née dans les bois, au bord des grands fleuves? Avait-elle perdu le droit imprescriptible, antérieur et supérieur, d'aller et de venir? Elle avait suivi Corcoran comme un ami; devait-elle le considérer désormais comme un maître?

      Voilà ce que disaient les yeux de la tigresse; mais le Malouin ne réfléchissait pas que lui-même, on épousant Sita et en la préférant à tout, avait fait quelque chose de semblable et manqué aux devoirs de l'amitié; il ne songeait, comme c'est l'usage de tous les hommes, qu'aux torts de son amie, et il leva Sifflante sur les épaules de Louison.

      Ce geste la remplit d'indignation. Quoi! c'est ainsi qu'il la traitait! Le coeur de Louison se gonfla, ses yeux se remplirent de larmes; elle se rejeta en arrière par un bond si brusque, qu'il fut impossible à Corcoran de la retenir.

      Il sentit alors sa faute et voulut la réparer. Il jeta au loin la cravache et voulut prendre la tigresse par la douceur; il lui fit les appels les plus touchants et protesta que jamais il ne lui infligerait l'odieux châtiment dont elle avait été menacée un instant.

      Elle s'approcha, se laissa caresser, écouta en silence les discours de Corcoran, alla baiser la main de Sita et parut avoir tout oublié; mais il vit bien que quelque chose s'était rompu entre eux, et que la première fleur de leur amitié réciproque était flétrie et desséchée. Il résolut donc de la surveiller plus que jamais et de ne plus la laisser sortir sans lui.

      Vers cinq heures du soir, au moment où Louison se préparait à recommencer sa promenade, Corcoran l'enferma dans la grande salle du palais d'Holkar, située au premier étage et qui dominait le parc d'une hauteur de trente pieds. Pour plus de sûreté, il mit le gros éléphant Scindiah en embuscade sous les fenêtres. La jalousie qui animait Scindiah contre Louison (tous deux se disputaient les bonnes grâces de Sita) répondait à Corcoran de sa fidélité.

      Rien ne saurait peindre l'indignation de Louison, quand elle se vit enfermée et traitée en prisonnière de guerre. Elle rugissait si terriblement, que le palais en trembla sur sa base, et que les habitants de Bhagavapour se cachèrent dans leurs caves.

      Corcoran l'entendit et en eut pitié. Sita même implora la grâce de Louison, et ses principaux serviteurs, qui craignaient d'être mis en pièces par la redoutable tigresse, se jetèrent aux pieds du maître pour demander sa liberté.

      «Maharajah, dit Ali, seigneur du Bundelkund et de Goualier, cousin germain du soleil et de la lune, neveu des étoiles, favori du tout-puissant Indra qui éclaire les mondes, daigne ordonner que Louison soit relâchée, ou nous sommes perdus.»

      Mais Corcoran était de ces hommes qui ne reviennent jamais sur leurs résolutions. Sa tête avait la solidité du fer, et sa volonté l'inflexibilité du granit. Il refusa donc absolument de rendre la liberté à Louison.

      Celle-ci, cependant, ne perdait pas courage. Voyant que personne ne viendrait la délivrer, elle bondit tout à coup d'un élan furieux, enfonça l'une des fenêtres de la salle et, toute sanglante, allait prendre la fuite.

      Mais un grave accident la retint. Trop pressée de sauter par la fenêtre pour mesurer son élan, elle était tombée, non pas sur le gazon, mais sur le dos de l'éléphant Scindiah, qui était justement chargé d'empêcher toute escapade. Il ne pouvait rien arriver de plus malheureux à la pauvre Louison.

      Outre que Scindiah ne l'aimait pas, elle tomba si malencontreusement, elle si adroite en toutes choses, qu'elle se sentit glisser du dos de l'éléphant jusqu'à terre, et par instinct, de peur de se casser le nez, enfonça ses griffes acérées dans les épaules de Scindiah. Par ce moyen elle se retint en équilibre, et un autre saut l'aurait mise à terre; mais Scindiah la guettait.

      Au moment où elle allait s'élancer, l'éléphant la saisit délicatement par le cou avec sa trompe, l'enleva comme une plume, la balança trois fois dans les airs, comme un habile frondeur brandit sa fronde, et la rejeta dans la grande salle du palais.

      Corcoran, qui observait cette scène en silence, ne put s'empêcher de rire du tour et de l'adresse de Scindiah. Mais ce rire redoubla la rage de Louison. A peine retombée sur ses pattes, elle reprit son élan, essayant cette fois d'éviter la dangereuse trompe de Scindiah.

      Inutile effort! Scindiah l'attrapa au passage, comme une hirondelle attrape les mouches au vol, la posa délicatement à terre sans la lâcher ni lui faire aucun mal, la souleva lentement pour la regarder, comme s'il avait eu son lorgnon, et tout d'un coup, quoiqu'elle se débattit avec une fureur indescriptible, la rejeta de nouveau dans la grande salle du palais.

      Le jeu devenait dangereux et commençait à passer la plaisanterie. Corcoran le sentit, et il allait intervenir pour empêcher un combat où Louison, malgré tout son esprit et son courage, n'avait pas le beau rôle, lorsque l'affaire changea subitement de face par l'arrivée d'un nouveau combattant.

      Le grand tigre de la veille était arrivé au rendez-vous une demi-heure plus tôt qu'à l'ordinaire. Il entendit tout à coup les rugissements de Louison et les grondements moqueurs de Scindiah. Inquiet, il s'élança d'un bond sur le mur du parc, vit de loin ce qui se passait, et s'avança en rampant vers le gros éléphant, qui, tout occupé de son jeu, ne s'attendait pas à livrer un nouveau combat.

      Mal lui en prit, car Louison, qui de la fenêtre guettait l'arrivée du tigre, ne l'eut pas plus tôt aperçu qu'elle se prépara de nouveau à le rejoindre.

      Elle lui donna du regard le signal de l'attaque et tandis que Scindiah, suivant sa tactique ordinaire, avançait sa trompe pour l'attraper au passage, il sentit tout à coup une douleur aiguë. Le tigre, profitant de ce que Scindiah avait le dos tourné, s'était élancé sur lui sans être vu, et il lui déchirait la queue avec ses griffes. Scindiah se retourna et voulut saisir son ennemi avec sa trompe; mais Louison, plus prompte que la pensée, profitant de l'occasion, sauta légèrement sur son dos, de là à terre et prit la fuite. Le grand tigre, content d'avoir fait diversion, et délivré sa soeur, ne se soucia plus de la queue de l'éléphant et, ne pensant plus qu'à éviter sa trompe, s'empressa d'imiter l'exemple de Louison.

      Déjà tous deux avaient gagné le mur du parc et allaient sauter de l'autre côté, quand Scindiah, honteux d'avoir été trompé, et trop lourd pour rattraper les fugitifs, saisit avec sa trompe une grosse pierre et la lança sur le tigre avec une telle roideur, que s'il l'avait atteint dans le flanc il l'aurait écrasé comme un raisin. Heureusement, il manqua son coup. La pierre ne toucha qu'à peine le tigre à la naissance de la queue, et le culbuta dans le fossé sans lui faire d'autre mal. Quant à Louison, dès qu'elle eut vu Scindiah ramasser la pierre, elle devina son dessein et bondit de l'autre côté du mur avec une agilité extraordinaire. Là, se voyant en sûreté, elle releva, plaignit et consola son compagnon, qui léchait tristement sa blessure,