L'avare. Molière Jean Baptiste Poquelin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Molière Jean Baptiste Poquelin
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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qu’un homme comme cela mériterait bien ce qu’il craint ! Et que j’aurais de joie à la voler !

      Harpagon. Euh ?

      La Flèche. Quoi ?

      Harpagon. Qu’est-ce que tu parles de voler ?

      La Flèche. Je vous dis que vous fouillez bien partout, pour voir si je vous ai volé.

      Harpagon. C’est ce que je veux faire (Harpagon fouille dans les poches de La Flèche.)

      La Flèche (à part.) La peste soit de l’avarice et des avaricieux !

      Harpagon. Comment ? que dis-tu ?

      La Flèche. Ce que je dis ?

      Harpagon. Oui. Qu’est-ce que tu dis d’avarice et d’avaricieux ?

      La Flèche. Je dis que la peste soit de l’avarice et des avaricieux !

      Harpagon. De qui veux-tu parler ?

      La Flèche. Des avaricieux.

      Harpagon. Et qui sont-ils, ces avaricieux ?

      La Flèche. Des vilains et des ladres.

      Harpagon. Mais qui est-ce que tu entends par là ?

      La Flèche. De quoi vous mettez-vous en peine ?

      Harpagon. Je me mets en peine de ce qu’il faut.

      La Flèche. Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous ?

      Harpagon. Je crois ce que je crois ; mais je veux que tu me dises à qui tu parles quand tu dis cela.

      La Flèche. Je parle… je parle à mon bonnet.

      Harpagon. Et moi, je pourrais bien parler à ta barrette[3].

      La Flèche. M’empêcherez-vous de maudire les avaricieux ?

      Harpagon. Non ; mais je t’empêcherai de jaser et d’être insolent. Tais-toi.

      La Flèche. Je ne nomme personne.

      Harpagon. Je te rosserai si tu parles.

      La Flèche. Qui se sent morveux, qu’il se mouche.

      Harpagon. Te tairas-tu ?

      La Flèche. Oui, malgré moi.

      Harpagon. Ah ! Ah !

      La Flèche (montrant à Harpagon une poches de son justaucorps.) Tenez, voilà encore une poche : êtes-vous satisfait ?

      Harpagon. Allons, rends-le-moi sans te fouiller.

      La Flèche. Quoi ?

      Harpagon. Ce que tu m’as pris.

      La Flèche. Je ne vous ai rien pris du tout.

      Harpagon. Assurément ?

      La Flèche. Assurément.

      Harpagon. Adieu. Va-t-en à tous les diables !

      La Flèche. Me voilà fort bien congédié.

      Harpagon. Je te le mets sur ta conscience, au moins.

      Scène IV

      Harpagon.

      Harpagon. Voilà un pendard de valet qui m’incommode fort ; et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n’est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d’argent ; et bienheureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve seulement que ce qu’il faut pour sa dépense ! On n’est pas peu embarrassé à inventer, dans toute une maison, une cache fidèle ; car pour moi, les coffres-forts me sont suspects, et je ne veux jamais m’y fier. Je les tiens justement une franche amorce à voleurs, et c’est toujours la première chose que l’on va attaquer.

      Scène V

      Harpagon ; Élise et Cléante, parlant ensemble, et restant dans le fond du théâtre.

      Harpagon (se croyant seul.) Cependant, je ne sais si j’aurai bien fait d’avoir enterré, dans mon jardin, dix mille écus qu’on me rendit hier. Dix mille écus en or, chez soi, est une somme assez…

      (À part, apercevant Élise et Cléante.)

      O ciel ! je me serai trahi moi-même ! la chaleur m’aura emporté, et je crois que j’ai parlé haut, en raisonnant tout seul.

      (À Cléante et Élise.)

      Qu’est-ce ?

      Cléante. Rien, mon père.

      Harpagon. Y a-t-il longtemps que vous êtes là ?

      Élise. Nous ne venons que d’arriver.

      Harpagon. Vous avez entendu…

      Cléante. Quoi, mon père ?

      Harpagon. Là…

      Élise. Quoi ?

      Harpagon. Ce que je viens de dire.

      Cléante. Non.

      Harpagon. Si fait, si fait.

      Élise. Pardonnez-moi.

      Harpagon. Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C’est que je m’entretenais en moi-même de la peine qu’il y a aujourd’hui à trouver de l’argent, et je disais qu’il est bien heureux qui peut avoir dix mille écus chez soi.

      Cléante. Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre.

      Harpagon. Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n’alliez pas prendre les choses de travers, et vous imaginer que je dise que c’est moi qui ai dix mille écus.

      Cléante. Nous n’entrons point dans vos affaires.

      Harpagon. Plût à Dieu que je les eusse, dix mille écus !

      Cléante. Je ne crois pas…

      Harpagon. Ce serait une bonne affaire pour moi.

      Élise. Ces sont des choses…

      Harpagon. J’en aurais bon besoin.

      Cléante. Je pense que…

      Harpagon. Cela m’accommoderait fort.

      Élise. Vous êtes…

      Harpagon. Et je ne me plaindrais pas, comme je le fais, que le temps est misérable.

      Cléante. Mon Dieu ! mon père, vous n’avez pas lieu de vous plaindre et l’on sait que vous avez assez de bien.

      Harpagon. Comment, j’ai assez de bien ! Ceux qui le disent en ont menti. Il n’y a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces bruits-là.

      Élise. Ne vous mettez point en colère.

      Harpagon. Cela est étrange que mes propres enfants me trahissent et deviennent mes ennemis.

      Cléante. Est-ce être votre ennemi que de dire que vous avez du bien ?

      Harpagon. Oui. De pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront cause qu’un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de