Double-Blanc. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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      Fortuné du Boisgobey

      DOUBLE-BLANC

      Première partie

      I. L’ancien Opéra, incendié il y a quinze ans, n’avait ni façade imposante…

      L’ancien Opéra, incendié il y a quinze ans, n’avait ni façade imposante, ni escalier monumental, mais les vieux abonnés le regrettent. On y voyait moins d’étrangers et l’acoustique y était meilleure.

      On y donnait aussi des bals masqués plus amusants que ceux d’à présent.

      Le carnaval de 1870 fut joyeux et la nuit du samedi gras de l’année terrible, la salle de la rue Le Peletier regorgeait de monde. On s’écrasait dans les couloirs, on s’étouffait au foyer et les loges étaient bondées.

      Aux premières, à droite, il y en avait une où on menait grand bruit. Les jeunes qui l’occupaient étaient montés à un formidable diapason de gaieté, et ce nid de viveurs élégants attirait les chercheuses d’aventures, comme la lumière attire les chauves-souris.

      À tout instant, s’ouvrait et se refermait la porte qui donnait sur le fameux corridor, si magistralement mis en scène par les frères de Goncourt, au premier acte de Henriette Maréchal.

      C’était un incessant va-et-vient de dominos de toutes les couleurs.

      Quelques loups de dentelle abritaient peut-être de vraies mondaines en rupture de salons du high-life, mais la plupart cachaient mal des visages de demoiselles trop connues, et ces messieurs n’étaient pas venus au bal pour se faire intriguer, comme on disait jadis.

      En ce temps-là, il n’y avait déjà plus que les collégiens et les provinciaux pour jouer à ce jeu démodé.

      Dans la loge numéro 9, on remplaçait l’intrigue par une pantomime expressive, et les femmes qui s’y risquaient savaient à quoi elles s’exposaient. Elles partaient chiffonnées, mais non pas fâchées, et elles ne craignaient pas d’y revenir après une excursion dans les couloirs où on ne les respectait pas davantage.

      Sous cette loge tapageuse, venaient de danser les clodoches, alors en pleine vogue, et le chef de la bande s’était mis à faire la quête. Dans son bonnet tendu, à bout de bras, il avait récolté une pluie d’or et il s’en allait recommencer plus loin ses exercices, en les dédiant à d’autres amateurs de contorsions.

      Il n’était resté qu’un individu, costumé en troubadour de pendule, vêtu d’une tunique abricot et coiffé d’une toque à créneaux.

      Celui-là n’avait pas figuré dans le quadrille privilégié. Il avait bien essayé de s’y mêler, mais les autres l’avaient rudement repoussé. N’est pas clodoche qui veut et les titulaires de l’emploi ne se souciaient pas d’admettre un intrus au partage des bénéfices. Ces drôles ne travaillaient pas pour l’amour de l’art et le bal de l’Opéra leur rapportait gros à cette époque où les riches avaient encore le louis facile.

      Le troubadour évincé avait l’air si triste et il regardait si humblement les semeurs de pourboires que l’un d’eux le prit en pitié, un grand brun que les grimaces des clodoches n’avaient pas déridé et qu’avaient laissé froid les agaceries des belles de nuit qui, les unes après les autres, s’étaient assises près de lui.

      La dernière venue, une blonde en domino blanc, ne lui avait rien dit encore, mais elle n’avait pas quitté la place, pendant qu’il se demandait, en examinant le troubadour mélancolique: Où donc ai-je déjà vue cette figure-là?

      Il ne voulait pas l’interpeller du haut de la loge, mais tirant de sa poche une pièce de vingt francs, il la montra au piteux personnage qui s’empressa de tendre ses deux mains jointes pour la recevoir.

      Le pauvre diable n’était ni un ingrat, ni un incrédule, car après avoir fait un signe de croix, il leva sur son bienfaiteur des yeux baignés de larmes.

      Un travesti de bas étage qui pleure de joie au bal masqué, c’est rare, mais le signe de croix stupéfia le bienfaiteur qui ne put pas s’empêcher de dire, assez haut pour que sa voisine l’entendît:

      – Est-ce que ce gars-là serait de mon pays? Il n’y a guère qu’en Bretagne que les pauvres remercient Dieu, quand on leur fait l’aumône.

      – Vous êtes Breton, monsieur? demanda vivement la blonde.

      Sa voix était douce; son ton était celui de la bonne compagnie, et maintenant elle disait: «vous» au jeune homme qu’elle avait tutoyé d’abord.

      Tout étonné de ce changement, il allait se décider à lui répondre. Un de ses compagnons s’en chargea, un gros garçon à la mine réjouie, qui s’écria:

      – Un peu qu’il l’est!… Breton bretonnant, mon ami Hervé… noble comme un Rohan, brave comme feu Duguesclin et sociable comme un sanglier de la forêt de Rennes…, je vais te le présenter… Hervé Le Gouesnach, seigneur de Scaër, Trégunc et autres lieux… âgé de vingt-sept ans… orphelin de père et de mère… propriétaire foncier… châtelain de plusieurs manoirs couverts d’ardoises… et d’hypothèques… Te voilà renseignée, ma petite Double-Blanc…

      Je t’appelle Double-Blanc parce que, excepté toi, il n’y a ici que des dominos noirs… Tu me fais l’effet d’être gentille… Veux-tu souper avec moi?

      – Avec vous, non, dit nettement la jeune femme.

      – Tu aimerais mieux souper en tête-à-tête avec Hervé… pas la peine, ma chère. Tu perdrais ton temps. Il va se marier.

      – Déjà! murmura la blonde.

      – Parfaitement… et si tu savais contre qui…

      – Assez! interrompit le grand brun.

      – Oh! ne te fâche pas!… cette enfant m’intéresse et j’ai bien le droit de lui crier: casse-cou!… Je ne suis pas Breton, moi: mais je suis très sérieux… mes autres amis aussi… et j’invite la petite à grignoter avec nous quelques écrevisses, au Grand-Quinze.

      – Merci, monsieur, je n’y tiens pas, répond le domino blanc.

      – Des manières, alors!… Madame est une femme du monde!… Fallait le dire!

      Et le joyeux garçon se rejeta sur une errante qui venait d’arriver et qui l’accueillit beaucoup mieux.

      La blonde n’avait pas cessé de regarder Hervé et elle finit par lui dire, en baissant la voix:

      – Je voudrais vous revoir.

      – Me revoir?… à quoi bon? Je vais me marier… mon ami vient de vous le dire… et je ne suis pas disposé à faire la fête.

      – Je n’y suis pas plus disposée que vous, mais je vous connais depuis longtemps et je vous cherche depuis un an. Je vous ai aperçu dans cette loge et je n’y suis entrée que pour vous parler.

      – Eh bien!… parlez-moi! et si vous voulez que je vous écoute, commencez par m’apprendre votre nom et comment vous me connaissez.

      – Mon nom ne vous renseignerait pas sur ma personne. Tout ce que je puis vous dire, c’est que vous m’avez rencontrée… autrefois… en Bretagne… et que vous vous souviendriez peut-être de moi si je vous montrais ma figure.

      – Montrez-la-moi donc!

      – Ici?… non… je ne veux pas.

      – Alors, je ne la verrai jamais, car je vais quitter le bal, et il est probable que, de ma vie, je n’y remettrai les pieds.

      – Ni moi non plus, mais si je savais où vous demeurez à Paris, je pourrais vous écrire.

      – Vous pourriez même venir chez moi, et je n’y tiens pas.

      – Oui, je comprends… Vous craignez que ma visite ne vous compromette… Vous avez tort… Je ne suis pas ce que vous pensez, et puisque vous refusez de me donner votre adresse, je me contenterai de vous donner la mienne.

      Prenez ceci, je vous prie, dit la blonde, en glissant dans la main d’Hervé une enveloppe cachetée à la cire.

      Et sans lui laisser le temps de se récrier, elle sortit de la loge.

      – Tiens! dit le gai compagnon qu’elle avait rebuté, voilà le Double-Blanc qui décampe. Tant mieux!… cette farceuse appartient évidemment à l’espèce des demi-castors…