L'éducation sentimentale. Gustave Flaubert. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gustave Flaubert
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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médiocre. Hussonnet s’était dispensé de tout présent.

      Frédéric attendit après les autres, pour offrir le sien. Elle l’en remercia beaucoup. Alors, il dit :

      «Mais… c’est presque une dette ! J’ai été si fâché.

      – De quoi donc ? reprit-elle. Je ne comprends pas !

      – A table !» fit Arnoux, en le saisissant par le bras ; puis, dans l’oreille : «Vous n’êtes guère malin, vous !»

      Rien n’était plaisant comme la salle à manger, peinte d’une couleur vert d’eau. A l’un des bouts, une nymphe de pierre trempait son orteil dans un bassin en forme de coquille. Par les fenêtres ouvertes, on apercevait tout le jardin avec la longue pelouse que flanquait un vieux pin d’Ecosse, aux trois quarts dépouillé ; des massifs de fleurs la bombaient inégalement ; et, au-delà du fleuve, se développaient, en large demi-cercle, le bois de Boulogne, Neuilly, Sèvres, Meudon. Devant la grille, en face, un canot à la voile prenait des bordées.

      On causa d’abord de cette vue que l’on avait, puis du paysage en général ; et les discussions commençaient quand Arnoux donna l’ordre à son domestique d’atteler l’américaine vers les neuf heures et demie. Une lettre de son caissier le rappelait.

      «Veux-tu que je m’en retourne avec toi ? , dit Mme Arnoux.

      – Mais certainement !» et, en lui faisant un beau salut :» Vous savez bien, Madame, qu’on ne peut vivre sans vous !»

      Tous la complimentèrent d’avoir un si bon mari.

      «Ah ! c’est que je ne suis pas seule !» répliqua-t-elle doucement, en montrant sa petite fille.

      Puis, la conversation ayant repris sur la peinture, on parla d’un Ruysdaël, dont Arnoux espérait des sommes considérables, et Pellerin lui demanda s’il était vrai que le fameux Saül Mathias, de Londres, fût venu, le mois passé, lui en offrir vingt-trois mille francs.

      «Rien de plus vrai !» et, se tournant vers Frédéric «C’est même le monsieur que je promenais l’autre jour à l’Alhambra, bien malgré moi, je vous assure, car ces Anglais ne sont pas drôles»

      Frédéric, soupçonnant dans la lettre de Mlle Vatnaz quelque histoire de femme, avait admiré l’aisance du sieur Arnoux à trouver un moyen honnête de déguerpir ; mais son nouveau mensonge, absolument inutile, lui fit écarquiller les yeux.

      Le marchand ajouta, d’un air simple :

      «Comment l’appelez-vous donc, ce grand jeune homme, votre ami ?

      – Deslauriers», dit vivement Frédéric.

      Et, pour réparer les torts qu’ils se sentait à son endroit, il le vanta comme une intelligence supérieure.

      «Ah ! vraiment ? Mais il n’a pas l’air si brave garçon que l’autre, le commis de roulage.»

      Frédéric maudit Dussardier. Elle allait croire qu’il frayait avec les gens du commun.

      Ensuite, il fut question des embellissements de la Capitale, des quartiers nouveaux, et le bonhomme Oudry vint à citer, parmi les grands spéculateurs, M. Dambreuse.

      Frédéric, saisissant l’occasion de se faire valoir, dit qu’il le connaissait. Mais Pellerin se lança dans une catilinaire contre les épiciers ; vendeurs de chandelles ou d’argent, il n’y voyait pas de différence. Puis, Rosenwald et Burieu devisèrent porcelaines ; Arnoux causait jardinage avec Mme Oudry ; Sombaz, loustic de la vieille école, s’amusait à blaguer son époux ; il l’appelait Odry, comme l’acteur, déclara qu’il devait descendre d’Oudry, le peintre des chiens, car la bosse des animaux était visible sur son front. Il voulut même lui tâter le crâne, l’autre s’en défendait à cause de sa perruque ; et le dessert finit avec des éclats de rire.

      Quand on eut pris le café, sous les tilleuls, en fumant, et fait plusieurs tours dans le jardin, on alla se promener le long de la rivière.

      La compagnie s’arrêta devant un pêcheur, qui nettoyait des anguilles, dans une boutique à poisson. Mlle Marthe voulut les voir. Il vida sa boîte sur l’herbe ; et la petite fille se jetait à genoux pour les rattraper, riait de plaisir, criait d’effroi. Toutes furent perdues. Arnoux les paya.

      Il eut, ensuite, l’idée de faire une promenade en canot. Un côté de l’horizon commençait à pâlir. tandis que, de l’autre, une large couleur orange s’étalait dans le ciel et était plus empourprée au faîte des collines, devenues complètement noires. Mme Arnoux se tenait assise sur une grosse pierre, ayant cette lueur d’incendie derrière elle. Les autres personnes flânaient, çà et là ; Hussonnet, au bas de la berge, faisait des ricochets sur l’eau.

      Arnoux revint, suivi par une vieille chaloupe, où malgré les représentations les plus sages il empila ses convives. Elle sombrait ; il fallut débarquer.

      Déjà des bougies brûlaient dans le salon, tout tendu de perse, avec des girandoles en cristal contre les murs. La mère Oudry s’endormait doucement dans un fauteuil, et les autres écoutaient M. Lefaucheux, dissertant sur les gloires du barreau. Mme Arnoux était seule près de la croisée, Frédéric l’aborda.

      Ils causèrent de ce que l’on disait. Elle admirait les orateurs ; lui, il préférait la gloire des écrivains. Mais on devait sentir, reprit-elle, une plus forte jouissance à remuer les foules directement, soi-même, à voir que l’on fait passer dans leur âme tous les sentiments de la sienne. Ces triomphes ne tentaient guère Frédéric, qui n’avait point d’ambition.

      «Ah ! pourquoi ? dit-elle. Il faut en avoir un peu !»

      Ils étaient l’un près de l’autre, debout, dans l’embrasure de la croisée. La nuit, devant eux, s’étendait comme un immense voile sombre, piqué d’argent. C’était la première fois qu’ils ne parlaient pas de choses insignifiantes. Il vint même à savoir ses antipathies et ses goûts : certains parfums lui faisaient mal, les livres d’histoire l’intéressaient, elle croyait aux songes.

      Il entama le chapitre des aventures sentimentales. Elle plaignait les désastres de la passion, mais était révoltée par les turpitudes hypocrites ; et cette droiture d’esprit se rapportait si bien à la beauté régulière de son visage, qu’elle semblait en dépendre.

      Elle souriait quelquefois, arrêtant sur lui ses yeux, une minute. Alors, il sentait ses regards pénétrer son âme, comme ces grands rayons de soleil qui descendent jusqu’au fond de l’eau. Il l’aimait sans arrière-pensée, sans espoir de retour, absolument ; et, dans ces muets transports, pareils à des élans de reconnaissance, il aurait voulu couvrir son front d’une pluie de baisers. Cependant, un souffle intérieur l’enlevait comme hors de lui ; c’était une envie de se sacrifier, un besoin de dévouement immédiat, et d’autant plus fort qu’il ne pouvait l’assouvir.

      Il ne partit pas avec les autres, Hussonnet non plus. Ils devaient s’en retourner dans la voiture ; et l’américaine attendait au bas du perron, quand Arnoux descendit dans le jardin, pour cueillir des roses. Puis, le bouquet étant lié avec un fil, comme les tiges dépassaient inégalement, il fouilla dans sa poche, pleine de papiers, en prit un au hasard, les enveloppa, consolida son oeuvre avec une forte épingle et il l’offrit à sa femme, avec une certaine émotion.

      «Tiens, ma chérie, excuse-moi de t’avoir oubliée !» Mais elle poussa un petit cri ; l’épingle, sottement mise, l’avait blessée, et elle remonta dans sa chambre. On l’attendit près d’un quart d’heure. Enfin elle reparut, enleva Marthe, se jeta dans la voiture.

      «Et ton bouquet ? dit Arnoux.

      – Non ! non ! ce n’est pas la peine !»

      Frédéric courait pour l’aller prendre ; elle lui cria :

      «Je n’en veux pas !»

      Mais il l’apporta bientôt, disant qu’il venait de le remettre dans l’enveloppe, car il avait trouvé les fleurs à terre. Elle les enfonça dans le tablier de cuir, contre le siège, et l’on partit.

      Frédéric,