– Oh! protesta Paul Cormier, je n’abuserai pas de la situation.
Elle n’a cependant rien de flatteur ni d’agréable pour moi, convenez-en. Me voilà réduit au rôle de confident… et encore!… jusqu’à présent vous ne m’avez pas confié grand’chose…
J’espérais mieux et quand vous avez bien voulu m’inviter à monter dans cette voiture, si j’avais pu prévoir qu’il ne serait question que de Mirande et de sa famille…
– Ne vous repentez pas d’avoir fait une bonne action, interrompit la blonde inconnue.
– Une bonne action, dites-vous?… voilà un bien gros mot!… je n’aperçois pas encore quel service j’ai pu vous rendre.
– Un grand service… vous le reconnaîtrez plus tard et… pourquoi ne l’avouerais-je pas?… je compte vous en demander d’autres…
– Je vous reverrai donc!
– Oui… si vous voulez me promettre de ne pas chercher à savoir qui je suis…
– Voilà une condition un peu dure!
– Et de ne rien dire à votre ami.
– Il ne m’en coûtera guère d’être discret, mais… quelle sera ma récompense, si je me soumets à l’autre condition?
– Fiez-vous-en à ma reconnaissance et comptez qu’un jour vous saurez tout.
– Soit! j’accepte; mais comment vous reverrai-je? Vous ne m’avez pas dit votre nom… je suppose que vous ne voulez pas me le dire… et vous ne savez pas le mien.
– Il ne tient qu’à vous de me l’apprendre. Je m’en souviendrai, je vous le jure.
Ce fut dit avec un accent de sincérité chaleureuse qui toucha Paul
Cormier, sans le convaincre tout à fait.
Il se défiait encore un peu des intentions de la dame et le rôle effacé qu’elle semblait lui réserver ne le tentait guère. Mais elle était, comme a écrit La Bruyère, si jeune, si belle et si sérieuse, qu’il se laissait aller à la croire.
Il allait peut-être s’ouvrir pour lui ce grand monde qu’il rêvait et
Paul n’était pas homme à refuser d’y entrer, même par une porte secrète.
L’inconnue en était certainement et elle lui offrait d’emblée une sorte de traité d’alliance.
Après l’amitié, l’amour viendrait peut-être et cette chance valait bien qu’il acceptât le compromis qu’elle lui proposait.
Et pourtant sa réponse se fit attendre. Il lui en coûtait de décliner
son nom roturier à une femme qui connaissait à fond l’armorial du
Languedoc où figurait si brillamment l’aristocratique famille de
Mirande.
Il s’y décida cependant.
C’était le seul moyen de la revoir, puisqu’elle ne voulait pas lui dire le sien.
– Je m’appelle Paul Cormier, dit-il brusquement, comme un homme qui prend tout à coup son parti de subir une nécessité désagréable.
Et ne voulant pas faire les choses à demi, il ajouta:
– Je n’ai plus que ma mère qui n’habite pas avec moi. Je finis ma dernière année de droit et je demeure rue Gay-Lussac, nº 9.
Vous voilà renseignée, Madame. Je ne vous demande pas de me rendre la pareille.
– Je vous ai promis que plus tard vous sauriez tout. Je vous le promets encore. En attendant que je puisse tenir ma promesse, vous vous contenterez de me voir.
– Pas chez vous, je suppose?
– Ni chez vous, Monsieur, dit en souriant la mystérieuse blonde.
Je vous écrirai pour vous faire savoir où nous pourrons nous rencontrer.
Et vous ne croyez pas, je l’espère, que j’attends de vous d’autres services que ceux qu’un galant homme peut, sans déchoir, rendre à une honnête femme qui a recours à son obligeance, sinon à sa protection.
Ce langage ferme et net fit sur Paul une impression profonde.
Son consentement ne tenait plus qu’à un fil et s’il hésitait encore, c’est qu’un point à éclaircir lui tenait au cœur.
– Eh! bien? demanda la dame; est-ce convenu?
– Oui… si…
– Quoi! il y a un: si!
– Ne vous fâchez pas de ce que je vais vous dire…
– C’est donc bien terrible?
– Non… c’est enfantin… Donnez-moi votre parole d’honneur que vous n’aimez pas Jean de Mirande… que vous ne l’aimez pas… d’amour.
– Je vous la donne. Je n’ai pas d’amour pour lui et je n’en aurai jamais.
– Jamais, c’est beaucoup dire.
– Je ne puis pas l’aimer. Un jour je vous apprendrai pourquoi.
– C’est bien… je vous crois, dit gravement Paul Cormier. Je ferai tout ce que vous voudrez.
– Merci, Monsieur!… à dater de cet instant vous pouvez compter sur moi comme je compte sur vous… et avant de nous séparer…
– Déjà!…
– Il le faut. Nous approchons du rond-point et je vous prierai de descendre un peu avant d’y arriver.
– Vous craignez qu’on ne nous voie ensemble?
– Probablement.
– Votre mari, n’est-ce pas?
– Prenez garde!… voilà que vous manquez à nos conventions!
– C’est juste. Je retire ma question… et je ne recommencerai plus. Mais j’ai une grâce à vous demander… Je vais vous quitter et je ne sais quand je vous reverrai, mais vous ne me défendez pas de penser à vous.
– Non certes.
– Eh! bien, quand j’y penserai, ne serez-vous jamais pour moi que Madame X…? ne pourrai-je jamais rattacher ma pensée à un petit nom… celui que vous choisirez, si vous tenez à me cacher le véritable?
– C’est enfantin, comme vous disiez tout à l’heure, répondit en riant la belle inconnue; mais je ne veux pas vous refuser cette satisfaction. Quand vous penserez à moi… eh! bien… pensez à Jacqueline.
– Jacqueline! murmura Paul qui trouvait ce nom charmant.
Je répéterai souvent: Jacqueline!… cela m’aidera à prendre patience jusqu’au jour où vous voudrez bien vous souvenir de moi.
– Ne craignez pas que j’oublie, reprit vivement la dame. Mais le moment est venu de nous quitter. Il ne me reste qu’à vous dire…
– Adieu?
– Non. Au revoir! faites arrêter le cocher, je vous prie.
Paul tourna le bouton d’avertissement et demanda:
– Vous gardez la voiture, Madame?
– Oui… je la quitterai un peu plus loin.
Paul comprit qu’elle attendait qu’il partît pour donner l’adresse de la maison où elle allait.
Il ouvrit la portière et il descendit.
Il espérait que Jacqueline allait lui tendre la main, et il l’aurait