Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера. Александр Дюма. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Александр Дюма
Издательство: КАРО
Серия: Littérature classique (Каро)
Жанр произведения:
Год издания: 1844
isbn: 978-5-9925-1601-2
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de sa poche, et l’échangea avec celui qu’on venait de lui montrer. Puis, quelques mots furent prononcés entre les deux femmes. Enfin le volet se referma ; la femme qui se trouvait à l’extérieur de la fenêtre se retourna, et vint passer à quatre pas de d’Artagnan en abaissant la coiffe de sa mante ; mais la précaution avait été prise trop tard, d’Artagnan avait déjà reconnu Mme Bonacieux.

      Mme Bonacieux ! Le soupçon que c’était elle lui avait déjà traversé l’esprit quand elle avait tiré le mouchoir de sa poche ; mais quelle probabilité que Mme Bonacieux qui avait envoyé chercher M. de La Porte pour se faire reconduire par lui au Louvre, courût les rues de Paris seule à onze heures et demie du soir, au risque de se faire enlever une seconde fois ?

      Il fallait donc que ce fût pour une affaire bien importante ; et quelle est l’affaire importante d’une femme de vingt-cinq ans ? L’amour.

      Mais était-ce pour son compte ou pour le compte d’une autre personne qu’elle s’exposait à de semblables hasards ? Voilà ce que se demandait à lui-même le jeune homme, que le démon de la jalousie mordait au coeur ni plus ni moins qu’un amant en titre.

      Il y avait, au reste, un moyen bien simple de s’assurer où allait Mme Bonacieux : c’était de la suivre. Ce moyen était si simple, que d’Artagnan l’employa tout naturellement et d’instinct.

      Mais, à la vue du jeune homme qui se détachait de la muraille comme une statue de sa niche, et au bruit des pas qu’elle entendit retentir derrière elle, Mme Bonacieux jeta un petit cri et s’enfuit.

      D’Artagnan courut après elle. Ce n’était pas une chose difficile pour lui que de rejoindre une femme embarrassée dans son manteau. Il la rejoignit donc au tiers de la rue dans laquelle elle s’était engagée. La malheureuse était épuisée, non pas de fatigue, mais de terreur, et quand d’Artagnan lui posa la main sur l’épaule, elle tomba sur un genou en criant d’une voix étranglée :

      « Tuez-moi si vous voulez, mais vous ne saurez rien. »

      D’Artagnan la releva en lui passant le bras autour de la taille ; mais comme il sentait à son poids qu’elle était sur le point de se trouver mal, il s’empressa de la rassurer par des protestations de dévouement. Ces protestations n’étaient rien pour Mme Bonacieux ; car de pareilles protestations peuvent se faire avec les plus mauvaises intentions du monde ; mais la voix était tout. La jeune femme crut reconnaître le son de cette voix : elle rouvrit les yeux, jeta un regard sur l’homme qui lui avait fait si grand-peur, et, reconnaissant d’Artagnan, elle poussa un cri de joie.

      « Oh ! c’est vous, c’est vous ! dit-elle ; merci, mon Dieu !

      – Oui, c’est moi, dit d’Artagnan, moi que Dieu a envoyé pour veiller sur vous.

      – Était-ce dans cette intention que vous me suiviez ? » demanda avec un sourire plein de coquetterie la jeune femme, dont le caractère un peu railleur reprenait le dessus, et chez laquelle toute crainte avait disparu du moment où elle avait reconnu un ami dans celui qu’elle avait pris pour un ennemi.

      « Non, dit d’Artagnan, non, je l’avoue ; c’est le hasard qui m’a mis sur votre route ; j’ai vu une femme frapper à la fenêtre d’un de mes amis…

      – D’un de vos amis ? interrompit Mme Bonacieux.

      – Sans doute ; Aramis est de mes meilleurs amis.

      – Aramis ! qu’est-ce que cela ?

      – Allons donc ! allez-vous me dire que vous ne connaissez pas Aramis ?

      – C’est la première fois que j’entends prononcer ce nom.

      – C’est donc la première fois que vous venez à cette maison ?

      – Sans doute.

      – Et vous ne saviez pas qu’elle fût habitée par un jeune homme ?

      – Non.

      – Par un mousquetaire ?

      – Nullement.

      – Ce n’est donc pas lui que vous veniez chercher ?

      – Pas le moins du monde. D’ailleurs, vous l’avez bien vu, la personne à qui j’ai parlé est une femme.

      – C’est vrai ; mais cette femme est des amies d’Aramis.

      – Je n’en sais rien.

      – Puisqu’elle loge chez lui.

      – Cela ne me regarde pas.

      – Mais qui est-elle ?

      – Oh ! cela n’est point mon secret.

      – Chère madame Bonacieux, vous êtes charmante ; mais en même temps vous êtes la femme la plus mystérieuse…

      – Est-ce que je perds à cela ?

      – Non ; vous êtes, au contraire, adorable.

      – Alors, donnez-moi le bras.

      – Bien volontiers. Et maintenant ?

      – Maintenant, conduisez-moi.

      – Où cela ?

      – Où je vais.

      – Mais où allez-vous ?

      – Vous le verrez, puisque vous me laisserez à la porte.

      – Faudra-t-il vous attendre ?

      – Ce sera inutile.

      – Vous reviendrez donc seule ?

      – Peut-être oui, peut-être non.

      – Mais la personne qui vous accompagnera ensuite sera-t-elle un homme, sera-t-elle une femme ?

      – Je n’en sais rien encore.

      – Je le saurai bien, moi !

      – Comment cela ?

      – Je vous attendrai pour vous voir sortir.

      – En ce cas, adieu !

      – Comment cela ?

      – Je n’ai pas besoin de vous.

      – Mais vous aviez réclamé…

      – L’aide d’un gentilhomme, et non la surveillance d’un espion.

      – Le mot est un peu dur !

      – Comment appelle-t-on ceux qui suivent les gens malgré eux ?

      – Des indiscrets.

      – Le mot est trop doux.

      – Allons, madame, je vois bien qu’il faut faire tout ce que vous voulez.

      – Pourquoi vous être privé du mérite de le faire tout de suite ?

      – N’y en a-t-il donc aucun à se repentir ?

      – Et vous repentez-vous réellement ?

      – Je n’en sais rien moi-même. Mais ce que je sais, c’est que je vous promets de faire tout ce que vous voudrez si vous me laissez vous accompagner jusqu’où vous allez.

      – Et vous me quitterez après ?

      – Oui.

      – Sans m’épier à ma sortie ?

      – Non.

      – Parole d’honneur ?

      – Foi de gentilhomme !

      – Prenez mon bras et marchons alors. »

      D’Artagnan offrit son bras à Mme Bonacieux, qui s’y suspendit, moitié rieuse, moitié tremblante, et tous deux gagnèrent le haut de la rue de La Harpe. Arrivée là, la jeune femme parut hésiter, comme elle avait déjà fait dans la rue de Vaugirard. Cependant, à de certains signes, elle sembla reconnaître une porte ; et s’approchant de cette porte :

      « Et maintenant, monsieur, dit-elle, c’est ici que j’ai affaire ; mille fois merci de votre honorable compagnie, qui m’a sauvée de