François le champi / Франсуа-найденыш. Книга для чтения на французском языке. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: КАРО
Серия: Littérature classique (Каро)
Жанр произведения: Биографии и Мемуары
Год издания: 1850
isbn: 978-5-9925-1530-5
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je saurai que je ne dois pas le prendre. J’irai parler à M. Cadet Blanchet, je lui dirai de me battre et de ne pas vous gronder pour moi. Et quand vous irez aux champs, j’irai toujours avec vous, je porterai votre petit, je l’amuserai encore toute la journée.

      Je ferai tout ce que vous me direz, et si je fais quelque chose de mal, vous ne m’aimerez plus. Mais ne me laissez pas renvoyer, je ne veux pas m’en aller, j’aime mieux me jeter dans la rivière.”

      Et le pauvre François regardait la rivière en s’approchant si près qu’on voyait bien que sa vie ne tenait qu’à un fil, et qu’il n’eût fallu qu’un mot de refus pour le faire noyer. Madeleine parlait pour l’enfant, et la Zabelle mourait d’envie de l’écouter; mais elle se voyait près du moulin, et ce n’était plus comme lorsqu’elle était auprès de la route.

      “Va, méchant enfant, disait-elle, je te garderai; mais tu seras cause que demain je serai sur les chemins demandant mon pain. Toi, tu es trop bête pour comprendre que c’est par ta faute que j’en serai réduite là, et voilà à quoi m’aura servi de me mettre sur le corps l’embarras d’un enfant qui ne m’est rien, et qui ne me rapporte pas le pain qu’il mange.

      – En voilà assez, Zabelle, dit la meunière en prenant le champi dans ses bras et en l’enlevant de terre pour l’emporter, quoiqu’il fût déjà bien lourd. Tenez, voilà dix écus pour payer votre ferme ou pour emménager ailleurs, si on s’obstine à vous chasser de chez nous. C’est de l’argent à moi, de l’argent que j’ai gagné; je sais bien qu’on me le redemandera, mais ça m’est égal. On me tuera si l’on veut, j’achète cet enfant-là, il est à moi, il n’est plus à vous. Vous ne méritez pas de garder un enfant d’un aussi grand cœur, et qui vous aimait tant. C’est moi qui serai sa mère, et il faudra bien qu’on le souffre. On peut tout souffrir pour ses enfants. Je me ferais couper par morceaux pour mon Jeannie; eh bien! j’en endurerai autant pour celui-là. Viens, mon pauvre François. Tu n’es plus champi, entends-tu? Tu as une mère, et tu peux l’aimer à ton aise; elle te le rendra de tout son cœur.”

      Madeleine disait ces paroles-là sans trop savoir ce qu’elle disait. Elle qui était la tranquillité même, elle avait en ce moment la tête tout en feu. Son cœur s’était regimbé, et elle était vraiment en colère contre la Zabelle. François avait jeté ses deux bras autour du cou de la meunière, et il serrait si fort qu´elle en perdit la respiration, en même temps qu’il remplissait de sang sa coiffe et son mouchoir, car il s’était fait plusieurs trous à la tête.

      Tout cela fit un tel effet sur Madeleine, elle eut à la fois tant de pitié, tant d’effroi, tant de chagrin et tant de résolution, qu’elle se mit à marcher vers le moulin avec autant de courage qu’un soldat qui va au feu. Et, sans songer que l’enfant était lourd et qu’elle était si faible qu’à peine pouvait-elle porter son petit Jeannie, elle traversa le petit pont qui n’était guère bien assis et qui enfonçait sous ses pieds.

      Quand elle fut au milieu elle s’arrêta. L’enfant devenait si pesant qu’elle fléchissait et que la sueur lui coulait du front. Elle se sentit comme si elle allait tomber en faiblesse, et tout d’un coup il lui revint à l’esprit une belle et merveilleuse histoire qu’elle avait lue, la veille, dans son vieux livre de la Vie des Saints: c’était l’histoire de saint Christophe portant l’enfant Jésus pour lui faire traverser la rivière, et le trouvant si lourd, que la crainte l’arrêtait. Elle se retourna pour regarder le champi. Il avait les yeux tout retournés. Il ne la serrait plus avec ses bras; il avait eu trop de chagrin, ou il avait perdu trop de sang. Le pauvre enfant s’était pâmé.

Questions:

      1. Comment la Zabelle essayait-elle de convaincre François le Champi de partir ou rester à l’hospice?

      2. Pourquoi ne pouvait-elle plus le garder?

      3. Où la Zabelle et François ont-ils rencontré Madeleine?

      4. Comment était la réaction de ce petit garçon quand il a vu Madeleine?

      5. Comment François voulait-il prouver son amour envers la Zabelle?

      6. Que s’est-il passé avec Madeleine?

      Chapitre IV

      Quand la Zabelle le vit ainsi, elle le crut mort. Son amitié lui revint dans le cœur, et ne songeant plus ni au meunier, ni à la méchante vieille, elle reprit l’enfant à Madeleine et se mit à l’embrasser en criant et en pleurant. Elles le couchèrent sur leurs genoux, au bord de l’eau, lavèrent ses blessures et en arrêtèrent le sang avec leurs mouchoirs; mais elles n’avaient rien pour le faire revenir. Madeleine, réchauffant sa tête contre son cœur, lui soufflait sur le visage et dans la bouche comme on fait aux noyés. Cela le réconforta, et dès qu’il ouvrit les yeux et qu’il vit le soin qu’on prenait de lui, il embrassa Madeleine et la Zabelle l’une après l’autre avec tant de cœur, qu’elles furent obligées de l’arrêter, craignant qu’il ne retombat en pâmoison.

      “Allons, allons, dit la Zabelle, il faut retourner chez nous. Non, jamais, jamais je ne pourrai quitter cet enfant-là, je le vois bien, et je n’y veux plus songer. Je garde vos dix écus, Madeleine, pour payer ce soir si on m’y force. Mais n’en dites rien; j’irai trouver demain la bourgeoise de Presles pour qu’elle ne nous démente pas, et elle dira, au besoin, qu’elle ne vous a pas encore payé le prix de votre filage; ça nous fera gagner du temps, et je ferai si bien, quand je devrais mendier, que je m’acquitterai envers vous pour que vous ne soyez pas molestée à cause de moi. Vous ne pouvez pas prendre cet enfant au moulin, votre mari le tuerait. Laissez-le-moi, je jure d’en avoir autant de soin qu’à l’ordinaire, et si on nous tourmente encore nous aviserons.”

      Le sort voulut que la rentrée du champi se fît sans bruit et sans que personne y prît garde; car il se trouva que la mère Blanchet venait de tomber bien malade d’un coup de sang, avant d’avoir pu avertir son fils de ce qu’elle avait exigé de la Zabelle à l’endroit du champi; et maître Blanchet n’eut rien de plus pressé que d’appeler cette femme pour venir aider au ménage, pendant que Madeleine et la servante soignaient sa mère. Pendant trois jours on fut sens dessus dessous au moulin. Madeleine ne s’épargna pas, et passa trois nuits debout au chevet de sa belle-mère, qui rendit l’esprit entre ses bras.

      Ce coup du sort abattit pendant quelque temps l’humeur malplaisante du meunier. Il aimait sa mère autant qu’il pouvait aimer, et il mit de l’amour-propre à la faire enterrer selon ses moyens. Il oublia sa maîtresse pendant le temps voulu, et il s’avisa même de faire le généreux, en donnant les vieilles nippes de la défunte aux pauvres voisines. La Zabelle eut sa part dans ces aumônes, et le champi lui-même eut une pièce de vingt sous, parce que Blanchet se souvint que, dans un moment où l’on était fort pressé d’avoir des sangsues pour la malade, tout le monde ayant couru inutilement pour s’en procurer, le champi avait été en pêcher, sans rien dire, dans une mare où il en savait, et en avait rapporté, en moins de temps qu’il n’en avait fallu aux autres pour se mettre en route.

      Si bien que Cadet Blanchet avait à peu près oublié sa rancoeur, et que personne ne sut au moulin l’équipée de la Zabelle pour remettre son champi à l’hospice. L’affaire des dix écus de la Madeleine revint plus tard, car le meunier n’avait pas oublié de faire payer la ferme de sa chétive maison à la Zabelle. Mais Madeleine prétendit les avoir perdus dans les prés en se mettant à courir, à la nouvelle de l’accident de sa belle-mère. Blanchet les chercha longtemps et gronda fort, mais il ne sut pas l’emploi de cet argent, et la Zabelle ne fut pas soupçonnée.

      A partir de la mort de sa mère, le caractère de Blanchet changea peu à peu, sans pourtant s’amender. Il s’ennuya davantage à la maison, devint moins regardant à ce qui s’y passait et moins avare dans ses dépenses. Il n’en fut que plus étranger aux profits d’argent, et comme il engraissait qu’il devenait dérangé et n’aimait plus le travail, il chercha son aubaine dans des marchés de peu de foi et dans un petit maquignonnage d’affaires qui l’aurait enrichi s’il ne se fût mis à dépenser d’un côté ce qu’il gagnait de l’autre. Sa concubine prit chaque jour plus de maîtrise sur lui. Elle l’emmenait dans