J'ai été excommunié d'une longue liste de salons de thé et de bars sous le faux prétexte d'être un sorcier marxiste ou une incarnation de Ferdinand Lassalle. Le grand public associe incorrectement un examen du statu quo économique avec une bravoure anticapitaliste basée sur une paranoïa aiguë du livre de Karl Marx Das Kapital. Si vous ne me croyez pas, essayez de révéler au grand jour les pires aspects du capitalisme ou de lâéconomie islamique, et bam, la société vous ostracise en vous collant l'étiquette de socialiste. Pourtant, susciter une conversion vers une nouvelle alternative robuste au capitalisme ne vous attirera que des regards effrayés de réincarnations autoproclamées de Marx. Que peut-on dire des combats de coq ennuyeux entre les divinités du capitalisme de notre époque ? Vous devriez être aussi dégoûtés que moi de ces spectacles de clowns qui retirent progressivement la substance des dialogues sur les inégalités économiques. Mes colères peuvent se transformer en tsunami mais il y a des événements dans notre vie qui, bien qu'étant modestes, s'avèrent être importants.
Lors d'une escale à l'aéroport international de Kenyatta à Nairobi au Kenya, alors que j'attendais d'embarquer sur mon vol pour rentrer aux Ãtats-Unis, on m'a demandé ce que je voulais être plus tard. L'homme était assis de l'autre côté de ma table. Il semblait avoir près de soixante-dix ans. Je pouvais deviner par ses traits et son accent qu'il venait du Rwanda, un pays accusé par de nombreux rapports d'organisations des Nations Unies et autres organisations non-gouvernementales de surveillance, d'être le cerveau derrière les horreurs politiques et sociales de mon pays natal. Vous pouvez comprendre ma colère après avoir été briefé sur la façon dont le Rwanda a fourni un soutien financier et militaire à des groupes de bandits sadiques, et comment, en retour, le Rwanda a directement pillé les ressources naturelles du Congo et est indirectement devenu une plaque tournante du commerce de ressources minérales.
Ce jour-là , une seule question me hantait ; combien de souffles et de vies perdus la République démocratique du Congo devrait supporter avant que le monde ne dise que c'en est trop ? Sur un ton hargneux, j'ai répondu à sa question d'une façon simple et audacieuse : « Je vais mettre fin au cauchemar de la République démocratique du Congo ». Tout en essayant de s'arrêter de rire, il m'a demandé quelles seraient mes solutions pour la RDC. Après tout, mon pays natal a traversé plus d'un demi-siècle de chaos économique et social. J'ai d'abord joyeusement formulé mes idées. Il a retiré ses lunettes et m'a demandé d'approfondir mon plan. Inutile de dire que plus je parlais, plus je semblais bête et naïf. Finalement, je n'ai pas été capable de clairement exprimer ma vision, pour la simple et bonne raison que je n'avais jamais sérieusement pensé à tout ceci en détail. Mon plan tout entier ne pouvait satisfaire à un examen en profondeur. La conversation décontractée s'est alors transformée en expérience humiliante et cela m'a rendu humble.
Ce livre émane des disciplines économiques monopolisées depuis plus d'un siècle par les rois de l'évasion et les mathématiciens. Pour toutes les mauvaises raisons que l'on connaît, les économistes ont réduit en millions de petits morceaux le Saint Graal qu'est la classique valeur du travail et ont enlevé à lâhumanisme et au monde réel leurs fondements théoriques. Ensuite, ils se sont donné le mal de regrouper certaines pièces, en utilisant des hypothèses stupides comme pansements. Il y a une part de vérité dans lâaccusation du Marxiste mis en quarantaine, Fred Moseley, selon laquelle le système économique du monde universitaire a été construit de façon à récompenser ceux qui restent dans le courant dominant. Cet homme vertueux est le Shoichi Yokoi de lâéconomie, privé de célébrité et de fortune, se cachant dans les jungles de South Hadley au Massachusetts. Il croyait fermement que ses anciens camarades reviendraient le chercher un jour, et quâensemble, ils lanceraient un dernier assaut contre le capitalisme. Hélas, simplement blâmer lâorthodoxie pour la non-exactitude de ses théories ne suffira pas à restaurer la vision classique dâun marché efficace ou à nous emmener vers la terre promise.
Jâai commencé ce livre sur une note personnelle avec une lettre à Mama Vincent. Câest une adolescente qui élève seule son enfant dans la rue, que ma femme et moi avons rencontrée dans le centre de Nairobi au Kenya. à un moment donné, jâai dû tenir Vincent dans mes bras pour tenir les policiers éloignés. Ma renommée de touriste au Kenya a protégé Vincent et sa mère de tout harcèlement policier. La ville de Nairobi a fait passer une ordonnance criminalisant la pauvreté plutôt que de faire la guerre aux inégalités. Cet apartheid de lâère moderne nâattire pas lâattention internationale, car les oppressés et les oppresseurs ont la même couleur de peau. De nombreuses autres villes adoptent la même approche démente et nâont pas été inquiétées tant que la ligne quâelles ont tracée ne déterre pas les conflits raciaux.
Durant mon enfance, on mâa inculqué la notion que les disparités socio-politico-économiques étaient dictées par les lois de la nature ; quelquâun devait être pauvre pour être le serviteur dâun riche ! Durant les années 90, les riches Congolais ont cherché à se réfugier à lâOuest pendant la guerre civile. Jâai été témoin de la façon dont, en un clin dâÅil, la plupart de ces familles ont perdu le style de vie luxueux auquel elles étaient habituées. Après avoir vécu pendant près de deux décades en exil, même les plus puissants généraux et les proches de lâancien président ont petit à petit succombé à la paralysie de la misère. Ce nâest donc pas surprenant si bon nombre de barons et de militants de lâAncien Régime sont rentrés chez eux en rampant et sâinvestissent activement dans le nouveau système parasite. Mon sage ami sud-africain fait référence à une loi naturelle pour expliquer ce cycle : « Serpent un jour, serpent toujours ! »
Ce témoignage personnel sert à montrer la vérité universelle accablante selon laquelle les gens, tout comme les nations, sâintéressent plus à eux-mêmes jusquâà ce que la chance tourne. Il en va de même pour le mouvement « Occupez Wall Street », après que les Américains aient vu leur rêve de maison avec palissade partir en fumée, ou lorsque les américains ordinaires travaillant dur se sont aperçus que leur retraite avait été complètement anéantie par quelques vagabonds avides. Un autre exemple caustique est le petit groupe constituant lâoligarchie russe qui nâa plus la cote auprès de Vladimir Poutine, et qui ne peut sâempêcher de prêcher une justice et une égalité strictes depuis son exil doré à Londres. Quây a-t-il à dire des pays européens jonglant avec des dettes hallucinantes plus élevées que leur PIB ? Ajoutez à ce tableau le Brésil, la Russie, lâInde et la Chine, les pays BRIC qui font exploser leur croissance économique au péril de Mère Nature. Il faut aussi rajouter à ce mélange la majorité arabe qui, ne se satisfaisant plus de la petite part de la richesse nationale tandis quâune minorité dépense le reste, a changé de position.
Ces récents volcans bouillonnants devraient attirer notre attention sur le fait que lâon devrait rechercher des mesures préventives pour briser le statu quo. Au XXIe siècle, le discours apathique des économistes, « Tant que lâon poursuivra lâévolution actuelle et que lâon ajustera la roue du vieux capitalisme un petit peu plus, tout ira bien », a perdu de sa force et de sa pertinence depuis