Horace. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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âmes honnêtes. Quand vous aurez refait connaissance avec elle, vous l'aimerez, et vous ne lui parlerez jamais du passé.

      Louison baissa les yeux, interdite et non pas convaincue. Suzanne, qui l'avait suivie par derrière, cédant à l'impulsion de son coeur, se pencha vers Marthe pour l'embrasser; mais un regard terrible de Louise, jeté en dessous, paralysa son élan. Elle se borna à lui serrer la main; et Eugénie, craignant que Marthe ne fût mal à l'aise entre ses deux compatriotes, se plaça auprès d'elle, affectant de lui témoigner plus d'amitié et d'égards qu'aux autres. Ce repas fut triste et gêné. Soit par dépit, soit que les mets ne fussent pas de son goût, Louison ne touchait à rien. Enfin, Arsène arriva, et, après les premiers embrassements, devinant, avec le sang-froid qu'il possédait au plus haut degré, ce qui se passait entre nous tous, il emmena ses deux soeurs dans une chambre, et resta plus d'une heure enfermé avec elles.

      Au sortir de cette conférence, ils avaient tous le teint animé. Mais l'influence de l'autorité fraternelle, si peu contestée dans les moeurs du peuple de province, avait maté la résistance de Louise. Suzanne, qui ne manquait pas de finesse, voyant dans Arsène un utile contre-poids à l'autorité de sa soeur, n'était pas fâchée, je crois, de changer un peu de maître. Elle fit franchement des amitiés à Marthe, tandis que Louise l'accablait de politesses affectées très-maladroites et presque blessantes.

      Arsène les envoya coucher presque aussitôt.

      «Nous attendrons madame Poisson, dit Louise sans se douter qu'elle enfonçait un nouveau poignard dans le coeur de Marthe en l'appelant ainsi.

      – Marthe n'a pas voyagé, répondit le Masaccio froidement; elle n'est pas condamnée à dormir avant d'en voir envie. Vous autres, qui êtes fatiguées, il faut aller vous reposer.»

      Elles obéirent, et, quand elles furent sorties:

      «Je vous supplie de pardonner à mes soeurs, dit-il à Marthe, certains préjugés de province qu'elles auront bientôt perdus, je vous en réponds.

      – N'appelez point cela des préjugés, répondit Marthe. Elles ont raison de me mépriser: j'ai commis une faute honteuse. Je me suis livrée à un homme que je devais bientôt haïr, et qui n'était pas fait pour être aimé. Vos soeurs ne sont scandalisées que parce que mon choix était indigne. Si je m'étais fait enlever par un homme comme vous, Arsène, je trouverais de l'indulgence, et peut-être de l'estime dans tous les coeurs. Vous voyez bien que tous ceux qui approchent d'Eugénie la respectent. On la considère comme la femme de votre ami, quoiqu'elle ne se soit jamais fait passer pour telle; et moi, quoique je prisse le titre d'épouse, tout le monde sentait que je ne l'étais point. En voyant quel maître farouche je m'étais donné, personne n'a cru que l'amour pût m'avoir jetée dans l'abîme.»

      En parlant ainsi, elle pleurait amèrement, et sa douleur, trop longtemps contenue, brisait sa poitrine.

      Arsène étouffa des sanglots prêts à lui échapper.

      «Personne n'a jamais dit ni pensé de mal de vous, s'écria-t-il; quant à moi, je saurai bien faire partager à mes soeurs le respect que j'ai pour vous.

      – Du respect! Est-il possible que vous me respectiez, vous! Vous ne croyez donc pas que je me sois vendu?

      – Non! non! s'écria Paul avec force, je crois que vous avez aimé cet homme haïssable; et où est donc le crime? Vous ne l'avez pas connu, vous avez cru à son amour; vous avez été trompée comme tant d'autres. Ah! Monsieur, ajouta-t-il en s'adressant à moi, vous ne pensez pas non plus que Marthe ait jamais pu se vendre, n'est-ce pas?»

      J'étais un peu gêné dans ma réponse. Depuis quelques jours que nous connaissions la situation de Marthe à l'égard de M. Poisson, nous nous étions déjà demandé plusieurs fois, Horace et moi, comment une créature si belle et si intelligente avait pu s'éprendre du Minotaure. Parfois nous nous étions dit que cet homme, si lourd et si grossier, avait pu avoir, quelques années auparavant, de la jeunesse et une certaine beauté; que ce profil de Vitellius, maintenant odieux, pouvait avoir eu du caractère avant l'invasion subite et désordonnée de l'embonpoint. Mais parfois aussi nous nous étions arrêtés à l'idée que des bijoux et des promesses, l'appât des parures et l'espoir d'une vie nonchalante avaient enivré cette enfant avant que l'intelligence et le coeur fussent développés en elle. Enfin nous pensions que son histoire pourrait bien ressembler à celle de toutes les filles séduites que les besoins de la vanité et les suggestions de la paresse précipitent dans le mal.

      Malgré mon empressement à la rassurer, Marthe vit ce qui se passait en moi. Elle avait besoin de se justifier.

      «Écoutez, dit-elle, je suis bien coupable, mais pas autant que je le parais. Mon père était un ouvrier pauvre et chagrin, qui cherchait dans le vin, comme tant d'autres, l'oubli de ses maux et de ses inquiétudes. Vous ne savez pas ce que c'est que le peuple, Monsieur! non, vous ne le savez pas! C'est dans le peuple qu'il y a les plus grandes vertus et les plus grands vices. Il y a là des hommes comme lui (et elle posait sa main sur le bras d'Arsène), et il y a aussi des hommes dont la vie semble livrée à l'esprit du mal. Une fureur sombre les dévore, un désespoir profond de leur condition alimente en eux une rage continuelle. Mon père était de ceux-là. Il se plaignait sans cesse, avec des jurements et des imprécations, de l'inégalité des fortunes et de l'injustice du sort, Il n'était pas né paresseux; mais il l'était devenu par découragement, et la misère régnait chez nous. Mon enfance s'est écoulée entre deux souffrances alternatives: tantôt une compassion douloureuse pour mes parents infortunés, tantôt une terreur profonde devant les emportements et les délires de mon père. Le grabat où nous reposions était à peu près notre seule propriété: tous les jours d'avides créanciers nous le disputaient. Ma mère mourut jeune par suite des mauvais traitements de son mari. J'étais alors enfant. Je sentis vivement sa perte, quoique j'eusse été la victime sur laquelle elle reportait les outrages et les coups dont elle était abreuvée. Mais il ne me vint pas dans l'idée d'insulter à sa mémoire et de me réjouir de l'espèce de liberté que sa mort me procurait. Je mettais toutes ses injustices sur le compte de la misère, aussi bien les siennes que celles de mon père. La misère était l'unique ennemi, mais l'ennemi commun, terrible, odieux, que, dès les premiers jours de ma vie, je fus habituée à détester et à craindre.

      «Ma mère, en dépit de tout, était laborieuse et me forçait à l'être. Quand je fus seule et abandonnée à tous mes penchants, je cédai à celui qui domine l'enfance: je tombai dans la paresse. Je voyais à peine mon père; il partait le matin avant que je fusse éveillée, et ne rentrait que tard le soir lorsque j'étais couchée. Il travaillait vite et bien; mais à peine avait-il touché quelque argent, qu'il allait le boire; et lorsqu'il revenait ivre au milieu de la nuit, ébranlant le pavé sous son pas inégal et pesant, vociférant des paroles obscènes sur un ton qui ressemblait à un rugissement plutôt qu'à un chant, je m'éveillais baignée d'une sueur froide et les cheveux dressés d'épouvante. Je me cachais au fond de mon lit, et des heures entières s'écoulaient ainsi, moi n'osant respirer, lui marchant avec agitation et parlant tout seul dans le délire; quelquefois s'armant d'une chaise ou d'un bâton, et frappant sur les murs et même sur mon lit, parce qu'il se croyait poursuivi et attaqué par des ennemis imaginaires. Je me gardais bien de lui parler; car une fois, du vivant de ma mère, il avait voulu me tuer, pour me préserver, disait-il, du malheur d'être pauvre. Depuis ce temps, je me cachais à son approche; et souvent, pour éviter d'être atteinte par les coups qu'il frappait au hasard dans l'obscurité, je me glissais sous mon lit, et j'y restais jusqu'au jour, à moitié nue, transie de peur et de froid.

      «Dans ce temps-là, je courais souvent dans les prairies qui entourent notre petite ville avec les enfants de mon âge; nous y avons souvent joué ensemble, Arsène; et vous savez bien que cette enfant, qui traînait toujours un reste de soulier attaché par une ficelle, en guise de cothurne, autour de la jambe, et qui avait tant de peine à faire rentrer ses cheveux indisciplinés sous un lambeau de bonnet, vous savez bien que cette enfant-là, craintive et mélancolique jusque dans ses jeux, était aussi pure et aussi peu vaine que vos soeurs. Mon seul crime, si c'en est un quand on a une existence si malheureuse, était de désirer, non la richesse, mais le calme et la douceur de moeurs que procure l'aisance. Quand j'entrais chez quelque bourgeois, et que je voyais la