Le Rhin, Tome III. Victor Hugo. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Victor Hugo
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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      Le Rhin, Tome III

      LETTRE XXIII

      MAYENCE

      L'auteur définit le chemin de fer. – Particularités du chemin de fer de Mayence à Francfort. – Dévastations sauvages et progrès hideux du «bon goût.» – L'auteur compare entre elles Cologne, Francfort et Mayence. – La cathédrale de Mayence. – Edifice à double abside. – Plan géométral. – Les clochers. – Portes de bronze. – Fac-simile de l'inscription. Voyage attentif et curieux de l'auteur à travers les tombeaux des archevêques-électeurs. – Dénombrement. – Détails. – Rapprochements. – Singulière histoire de l'astrologue Mabusius. – Monsieur Louis Colmar, pendant de monsieur Antoine Berdolet. – Jean et Adolphe de Nassau, pendants d'Adolphe et Antoine de Schauenbourg. – Il y a quarante-trois tombeaux. – Fastrada, femme de Charlemagne. – Son épitaphe. – Fac-simile. – 792. – Le bon vieux Suisse qui raconte ces histoires. – Ameublements différents des deux absides. – Magnifique menuiserie rococo. – Salle capitulaire. – Cloître. – Le bas-relief énigmatique. – Frauenlob. – La fontaine de la place du Marché. – Inscriptions. – Mayence du haut de la citadelle. – De quelle façon les femmes sont curieuses à Mayence. – Adlerstein. – Ce que c'est que le point noir qu'on voit là-bas.

Mayence, septembre.

      Mayence et Francfort, comme Versailles et Paris, ne sont plus aujourd'hui qu'une même ville. Au moyen âge il y avait entre les deux cités huit lieues, c'est-à-dire deux journées; aujourd'hui cinq quarts d'heure les séparent, ou plutôt les rapprochent. Entre la ville impériale et la ville électorale, notre civilisation a jeté ce trait d'union qu'on appelle un chemin de fer. Chemin de fer charmant, qui côtoie le Mein par instants, qui traverse une verte, riche et vaste plaine, sans viaducs, sans tunnels, sans déblais ni remblais, avec de simples assemblages de bois sous les rails; chemin de fer que les pommiers ombragent paternellement ainsi qu'un sentier de village; qui est livré, sans fossés ni grilles, de plain-pied, à la bonhomie saturnienne des gamins allemands, et tout le long duquel il semble qu'une main invisible vous présente l'un après l'autre les vergers, les jardins et les champs cultivés, les retirant ensuite en hâte et les enfonçant pêle-mêle au fond du paysage comme des étoffes dédaignées par l'acheteur.

      Francfort et Mayence sont, comme Liége, d'admirables villes dévastées par le bon goût. Je ne sais quelle propriété corrosive ont l'architecture blafarde, les colonnades de plâtre, les églises-théâtres et les palais-guinguettes; mais il est certain que toutes les pauvres vieilles cités fondent et se dissolvent rapidement dans ces affreux tas de maisons blanches. J'espérais voir à Mayence le Martinsburg, résidence féodale des électeurs-archevêques jusqu'au dix-septième siècle; les Français en avaient fait un hôpital, les Hessois l'ont rasé pour agrandir le port franc. Quant à l'hôtel des marchands, bâti en 1317 par la fameuse ligue des cent villes, splendidement décoré des statues de pierre des sept électeurs portant leurs blasons, au-dessous desquels deux figures colossales soutenaient l'écu de l'empire, on l'a démoli pour faire une place. Je comptais me loger vis-à-vis, dans cette hôtellerie des Trois-Couronnes ouverte dès 1360 par la famille Cleemann, à coup sûr la plus ancienne auberge de l'Europe; je m'attendais à une de ces hôtelleries comme en décrit le chevalier de Gramont, avec l'immense cheminée, la grande salle à piliers et à solives, dont le mur n'est qu'un vitrage maillé de plomb, et au dehors la borne à monter sur mule. Je n'y suis pas même entré. La vieille auberge Cleemann est à présent une espèce de faux hôtel Meurice, avec des rosaces en carton pierre aux plafonds, et aux fenêtres ce luxe de draperies et cette indigence de rideaux qui caractérisent les hôtelleries allemandes.

      Quelque jour Mayence fera de la maison de Bona Monte et de la maison Zum Jungen ce que Paris a fait du vénérable logis du pilier des halles. On détruira, pour le remplacer par quelque méchante façade ornée d'un méchant buste, le toit natal de ce Jean Gensfleisch, gentilhomme de la chambre de l'électeur Adolphe de Nassau, que la postérité connaît sous le nom de Guttemberg, comme elle connaît sous le nom de Molière Jean-Baptiste Poquelin, valet de chambre du roi Louis XIV.

      Cependant les vieilles églises défendent encore ce qui les entoure; et c'est autour de sa cathédrale qu'il faut chercher Mayence, comme c'est autour de sa collégiale qu'il faut chercher Francfort.

      Cologne est une cité gothique encore attardée dans l'époque romane; Francfort et Mayence sont deux cités gothiques déjà plongées dans la renaissance, et même, par beaucoup de côtés, dans le style rocaille et chinois. De là, pour Mayence et Francfort, je ne sais quel air de villes flamandes qui les distingue et les isole presque parmi les villes du Rhin.

      On sent à Cologne que les austères constructeurs du Dôme, maître Gérard, maître Arnold et maître Jean, ont longtemps empli toute la ville de leur souffle. Il semble que ces trois grandes ombres aient veillé pendant quatre siècles sur Cologne, protégeant l'église de Plectrude, l'église d'Annon, le tombeau de Théophanie et la chambre d'or des onze mille vierges, barrant la route au faux goût, tolérant à peine les imaginations presque classiques de la renaissance, gardant la pureté des ogives et des archivoltes, sarclant les chicorées de Louis XV partout où elles se hasardaient, maintenant dans toute la vivacité de leurs profils et de leurs arêtes les pignons taillés et les sévères hôtels du quatorzième siècle; et qu'elles ne se soient retirées, comme le lion devant l'âne, qu'en présence de l'art bête et abominable des architectes parisiens de l'Empire et de la Restauration. A Mayence et à Francfort, l'architecture-Rubens, la ligne gonflée et puissante, le riche caprice flamand, l'épaisse et inextricable végétation des grillages de fer chargés de fleurs et d'animaux, l'inépuisable variété des encoignures et des tourelles; la couleur, le phénomène; le contour joufflu, pansu, opulent, ayant plus de santé encore que de beauté; le mascaron, le triton, la naïade, le dauphin ruisselant, toute la sculpture païenne charnue et robuste, l'ornementation énorme, hyperbolique et exorbitante, le mauvais goût magnifique, ont envahi la ville depuis le commencement du dix-septième siècle, et ont empanaché et enguirlandé, selon leur poétique fantasque, la vieille et grave maçonnerie allemande. Aussi, ce ne sont partout que devantures historiées, ouvrées et guillochées; frontons compliqués de pots à feu, de grenades, de pommes de pin, de cippes et de rocailles, offrant des profils de buissons d'écrevisses; et pignons volutés à trois marteaux comme la perruque de cérémonie de Louis XIV.

      Vues à vol d'oiseau, Mayence et Francfort, ayant, l'une sur le Rhin, l'autre sur le Mein, la même position que Cologne, ont nécessairement la même forme. Sur la rive qui leur fait face, le pont de bateaux de Mayence a produit Castel, et le pont de pierre de Francfort a produit Sachshausen, comme le pont de Cologne a produit Deutz.

      Le dôme de Mayence, de même que les cathédrales de Worms et de Trèves, n'a pas de façade, et se termine à ses deux extrémités par deux chœurs. Ce sont deux absides romanes, ayant chacune son transsept, qui se regardent et que réunit une grande nef. On dirait deux églises soudées l'une à l'autre par leur façade. Les deux croix se touchent et se mêlent par le pied. Cette disposition géométrale engendre en élévation six campaniles, c'est-à-dire sur chaque abside un gros clocher entre deux tourelles, ainsi que le prêtre entre le diacre et le sous-diacre, symbolisme que reproduit, comme je l'ai dit ailleurs, la grande rosace de nos cathédrales entre ses deux ogives.

      

      Les deux absides dont la réunion compose la cathédrale de Mayence sont de deux époques différentes, et, quoique presque identiques en dessin géométral, aux dimensions près, présentent, comme édifices, un contraste complet et frappant. La première et la moins grande date du dixième siècle. Commencée en 978, elle a été terminée en 1009. La seconde, dont le gros clocher a deux cents pieds de haut, a été commencée peu après, mais elle a été incendiée en 1190, et depuis lors chaque siècle y a mis sa pierre. Il y a cent ans, le goût régnant a envahi le dôme; toute la flore de l'architecture Pompadour a mêlé ses jets de pierre, ses falbalas et ses ramages aux dentelures byzantines, aux losanges lombards et aux pleins cintres saxons, et aujourd'hui cette végétation bizarre et grimaçante couvre la vieille abside. Le gros clocher, cône large, trapu, ample à sa base, superbement chargé de trois riches diadèmes fleuronnés dont les diamètres décroissent de sa base à son sommet, taillé partout à roses et à facettes, semble plutôt bâti avec des pierreries qu'avec des pierres. Sur l'autre grosse tour, grave, simple, byzantine