Si vous vous posez la question: Pourquoi cette Russe a écrit ses récits en français? Je vous dirai que tout d'abord je suis francophone et le français est mon métier puisque je suis professeur de français. Mais aussi parce que j'aime le français, cette langue me paraît précise, capable d'exprimer les moindres nuances de la vie spirituelle et matérielle, elle a derrière soi une brillante histoire et culture. Parce qu'en Algérie cette langue m'a permis de travailler, communiquer et vivre, ce pays étant resté francophone malgré tous les changements qu'il avait connus. Et moi aussi j'appartiens au Pays de la Langue Française qui n'a pas de frontières et qui réunit tous les gens parlant le français dont les Russes. Je suis fière d'appartenir à ce Pays, à ce Monde Francophone. La francophonie réunit 65 pays à travers notre planète et son rôle reste important pour résoudre certains conflits et se battre pour la diversité culturelle.
Maintenant vous comprenez mieux pourquoi il m'a paru utile de rédiger mes écrits en français à moins de ne pas le faire en arabe que, hélas! je ne connais pas. Or la langue française n'appartient pas seulement aux Français, elle m'a servi d'intermédiaire très efficace pendant l'année que j'ai vécue en Algérie. Et je ne suis pas la seule qui l'utilise pour s'exprimer.
Il y a un point que je voudrais éclaircir – dans ma narration le lecteur trouvera souvent deux plans d'action: le passé, c'est-à-dire ce que j'ai vu en 1978 lors de mon voyage en Algérie, et le présent, autrement dit l'image actuelle de Béjaîa car il avait coulé beaucoup d'eau sous les ponts, la ville et le pays ont bien changé et j'ai voulu en parler.
J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.
Je t'adore, Soleil! Tu mets dans l'air des roses, Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson! Tu prends un arbre obscur et tu l'apothéoses!
O Soleil! toi sans qui les choses Ne seraient pas ce qu'elles sont!
Ce qui est passé a fui, ce que tu espères est absent, mais le présent est à toi.
Casbah de Béjaïa au-dessus de la vieille ville
I. Ma mission en Algérie
Il y a longtemps je fis un rêve prophétique: la route conduisant vers ma maison ressemblait à un tapis de belles fleurs. Peu de temps après, je reçus une réponse officielle du Conseil d'Entraide Economique de l'ex Union Soviétique qui disait que ma candidature au poste d'interprète de français au Centre de formation Technique des ouvriers qualifiés de Béjaïa en République Algérienne Démocratque et Populaire était acceptée.
J'étais aux anges en apprenant mon proche départ en Algérie, j'attendais cette bonne nouvelle en rêvant de travailler dans un pays africain francophone.
Carte de Kabylie
En septembre 1978 mon avion atterrit à l'aéroport d'Alger. Mes premières impressions étaient surprenantes et olfactives: une chaleur brûlante, l'odeur des plantes en fleur et les exhalaisons de la terre me parurent si insolites! Quand je montai dans le car qui devait me conduire vers Béjaïa se trouvant à 220 km d'Alger, je vis les palmiers le long de la route et les montagnes au loin. Et puis en bas – la mer couleur émeraude tout le long de la corniche.
Dans mon enfance le mot «Afrique» s'associait pour moi à quelque chose d'inaccessible, de mystérieux et même d'effrayant, «où requins, gorilles et crocodiles méchants, mordent, frappent et blessent les petits enfants». Ce poème de Tchoukovskiï aimé de tous les enfants soviétiques, les mettait en garde contre les promenades en Afrique. Mais il est connu que les interdictions suscitent toujours le plus grand intérêt et on attend avec impatience le moment de rencontrer ces animaux dangereux. En plus j'avais le goût de l'aventure et de découverte. Ainsi l'Afrique devint pour moi un aimant qui ne lâchait pas prise. C'est beaucoup plus tard que j'appris que l'Algérie était un des plus grands pays du Maghreb, situé entre la Méditerranée, le Sahara, l'océan Atlantique et le désert de Lybie. En arabe «al-Maghrib» signifie «direction où le soleil se couche», autrement dit l'occident. Alors j'allais découvrir l'histoire fascinante de ce pays avec ses traditions et monuments.
Centre de formation des ouvriers qualifiés de Béjaïa
Le Centre Technique auquel je fus affectée se trouvait à Béjaïa, en Kabylie, assez loin du centre-ville, dans la zone industrielle. Il y avait quelques bâtiments qui abritaient les salles d'études et les ateliers équipés de perceuses, fraiseuses et machines- outils de tour, une salle de fêtes et de réunions, un immeuble à 3 étages où logeait le personnel russe et algérien avec leurs familles.On pouvait voir à côté du terrain sportif deux clémentiniers qui
protégeaient contre le soleil torride ceux qui étaient assis sur le banc sous ces arbres fruitiers. Plus tard j'y rencontrais souvent un beau garçon de huit ans, fils d'un employé algérien, qui y venait régulièrement pour communiquer avec les Russes et apprendre notre langue en parlant avec eux. Plusieurs années après j'appris qu'il était allé en Russie pour y faire ses études.
Formateurs russes et algériens
Ce centre de formation était dirigé par le Directeur algérien et le co-directeur soviétique qui était responsable du personnel russe. Les formateurs russes donnaient leurs cours en russe et les interprètes les présentaient en français. Ma filière s'appelait «Montage et réparation des machines-outils». Mes débuts ne furent pas faciles, je manquais de connaissances terminologiques et avais peu d'expérience de traduction technique. J'eus peu de temps pour admirer les curiosités de Béjaïa et les beaux paysages de Kabylie avant de me trouver devant un dilemme: rester en Algérie ou plier mes bagages pour rentrer en Russie? Les raisons pour partir étaient nombreuses: manque de manuels, de dictionnaires et d'autres documents techniques, peu d'expérience en traduction et interprétation, les conditions de vie peu confortables et les ateliers mal éclairés pleins de bruits des machines… En revanche il y avait pas mal d'arguments pour rester, me défendre et vaincre pour retrouver la
confiance en moi-même et surmonter les difficultés. Etais-je en mesure de réussir? Ayant pesé tous les pour et les contre je me plongeai dans la mémorisation du vocabulaire technique que j'ignorais complètement.
Lors de la période de «conversion» je dormais 4 à 5 heures et mangeais chaque jour deux tablettes de chocolat algérien, très bon d'ailleurs. Je me mis à travailler sérieusement avec le Dictionnaire Polytechnique russo-français dont je m'étais procurée, mais comment trouver le mot juste pour chaque pièce si ce terme avait plusieurs sens? Alors je lisais toutes les variantes du terme français devant les étudiants tout en surveillant leur réaction. Bientôt mes efforts et stratégie commencèrent à porter leurs fruits et en peu de temps je pus me débrouiller sans trop de mal pour préparer mes conférences. Désormais je pouvais entrer dans l'atelier avec mon plus beau sourire, un peu forcé quand même.
Au bout du premier mois de mon séjour à Béjaïa la direction du Centre fit la visite de ma classe. Je donnais la conférence sans consulter mes notes et répondais aux questions posées par les étudiants. Mes chefs furent agréablement surpris et on me chargea tout de suite de servir d'interprète au cours des réunions techniques hebdomadaires. C'était la reconnaissance de mes mérites. Dorénavant outre six heures de cours quotidiens à interpréter en français je devais aussi accompagner les malades pour leur rendez-vous avec le médecin et assiter le Directeur russe du Centre pendant ses visites au port pour fréquenter les navires soviétiques qui amenaient des journaux récents et de nouveaux films. Après ces visites je revenais toujours avec les cadeaux traditionnels – du hareng et du pain noir- appréciés énormément par les expatriés russes.
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