Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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Walckenaer

      Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5 of 6

      CHAPITRE I.

      1673

      Madame de Sévigné quitte la Provence et retourne à Paris.—Mauvais état des routes.—Craintes de madame de Sévigné pour sa fille.—Avantage qu'elle retire de son voyage en Provence pour son commerce épistolaire.—Elle écrit de Montélimar.—Elle voit à Valence l'évêque, M. de Cosnac, et Montreuil.—Détails sur ceux-ci.—Marie-Adhémar.—Les filles de Sainte-Marie.—Madame de Sévigné arrive à Lyon.—Loge chez Châteauneuf.—Voit l'archevêque.—Elle part avec M. et madame de Rochebonne.—Madame de Sévigné écrit de Châlon-sur-Saône.—Recommande à sa fille deux ouvrages de Marigny.—Arrive à Bourbilly.—Ses souvenirs dans ce lieu.—Du voyage qu'elle fit en 1664.—Conduite de Bussy.—Il est à Paris.—Le comte et la comtesse de Guitaud sont à Époisses.—Madame de Sévigné ne peut réconcilier Guitaud avec Bussy.—Elle est venue à Bourbilly pour le règlement de ses affaires.—Le comte et la comtesse de Guitaud et la comtesse de Fiesque viennent voir madame de Sévigné.—Détails sur la comtesse de Fiesque—Deux petites cours auprès de celle du roi.—Cour de Monsieur; cour de Condé.—Nouvelles sur ces deux cours données à madame de Sévigné.—L'Espagne déclare la guerre à la France.—Détails sur la comtesse de Marci et mademoiselle de Grancey.—Leur influence.—Madame de Sévigné va passer un jour à Époisses.—Elle écrit de Moret.—Arrive à Paris.

      Le séjour de madame de Sévigné en Provence avait duré quatorze mois. Ce temps fut pour elle marqué par des jouissances de tous les jours et de tous les moments. Objet des constantes sollicitudes de madame de Grignan, elle avait promptement contracté l'habitude de la voir, de lui parler, de l'écouter, d'être sans cesse occupée d'elle. Ce n'était donc pas sans des déchirements de cœur qu'elle s'arrachait forcément aux douceurs de ce genre de vie. Diverses causes contribuaient à rendre cette nécessité plus cruelle. En même temps que, parcourant la route de Montélimar, elle s'éloignait de sa fille, sa fille s'éloignait d'elle, et prenait le chemin de Salons pour se rendre chez l'archevêque d'Arles. Quoique ce court trajet accrût imperceptiblement la distance qui devait toutes deux les séparer, néanmoins il ajoutait encore au trouble violent que cette séparation avait produit dans l'âme de madame de Sévigné. Elle avait espéré ramener sa fille avec elle; mais de puissants motifs s'y opposaient. L'assemblée des communautés de Provence devait avoir lieu en décembre, et ne pouvait se terminer qu'au milieu de janvier. Madame de Grignan se trouvait par là forcée de différer de trois mois le voyage qu'elle avait promis de faire à Paris1. Obligée de se rendre à de si bonnes raisons, madame de Sévigné trouvait dans la promesse même que sa fille lui avait faite un sujet de peine et d'inquiétude. La route de Montélimar à Lyon, qu'elle parcourait, était horriblement abîmée et dans plusieurs endroits entièrement défoncée. Ce n'était pas sans effroi qu'elle songeait que dans trois mois sa fille, au milieu de l'hiver, aurait, pour venir la rejoindre, à parcourir cette même route, devenue plus dangereuse encore par des dégradations successives. Ses lettres nous montrent avec quelle scrupuleuse attention elle observait l'état des chemins et quel soin elle mettait à indiquer à madame de Grignan les parties détériorées où, selon elle, on devait descendre de voiture et se faire porter en litière, «sous peine de la vie2

      Entre deux personnes qui s'aiment il y a dans les entretiens familiers et confidentiels un échange sympathique de sentiments et d'idées qui ne peut être suppléé par la correspondance la plus assidue. La voix, le geste, les yeux, les traits du visage manifestent nos sensations, nos désirs, nos inclinations, notre trouble, nos espérances, les subites inspirations de notre esprit, les éclairs capricieux de notre imagination mieux que ne peuvent le faire les mots les mieux arrangés, les plus expressifs, tracés sur un froid papier. C'est ce que madame de Sévigné ressentait amèrement lorsque de Montélimar elle écrivait: «Hélas! nous revoilà dans les lettres.» Et cependant le temps qu'elle avait passé en Provence, au milieu de la famille des Grignan, lui donnait, pour sa correspondance, plus de moyens de remédier aux inconvénients de l'absence. Elle pouvait désormais apprécier les changements que le temps, une nouvelle situation avaient opérés dans l'esprit, les opinions, les goûts et les habitudes de madame de Grignan. Elle connaissait le monde avec lequel vivait sa fille, ses occupations de chaque jour, la distribution de ses heures, les qualités et les défauts de ceux qui étaient placés sous sa dépendance, les causes de ses tracas domestiques, toutes les misères, toutes les nuances si variables de l'existence, tous ces riens qu'on méprise et que pourtant on ressent si vivement, qu'on redoute ou qu'on dédaigne d'écrire, mais qu'à tout moment on voudrait confier à ceux qui s'intéressent à notre bonheur. Madame de Sévigné savait et prévoyait toutes les tribulations auxquelles sa fille était exposée; elle pouvait donc se faire comprendre d'elle à demi-mot, deviner ses désirs et pénétrer plus avant dans les replis de son cœur. Il lui devenait plus facile de lui être agréable par ses lettres, écrites avec plus de confiance, de facilité et d'abandon. Aussi lui dit-elle peu de jours après l'avoir quittée: «Je suis toute pétrie des Grignan, je tiens partout… Hélas! ma fille, j'ai apporté toute la Provence et toutes vos affaires avec moi3. Je vous vois, je vous suis pas à pas; je vois entrer, je vois sortir; je vois quelques-unes de vos pensées4.» Et le temps ne faisait qu'ajouter encore à l'effet des souvenirs de son séjour à Grignan; mais après elle y revient. «Il est vrai, dit-elle, que le voyage de Provence m'a plus attachée à vous que je n'étais encore. Je ne vous avais jamais tant vue, et je n'avais jamais tant joui de votre esprit et de votre cœur5

      La mélancolie qui dominait madame de Sévigné en s'éloignant de sa fille ne fut pas allégée par les livres qu'elle avait emportés pour se distraire en voyage. C'étaient le Socrate chrétien de Balzac et les Déclamations de Quintilien. On est étonné de voir au nombre de ses lectures ce dernier ouvrage, d'une authenticité douteuse et d'un mérite très-secondaire; il est probable que c'était par suite des études d'auteurs anciens qu'elle avait faites avec Corbinelli pendant son séjour à Grignan qu'elle s'était imposé la tâche de lire ces Déclamations. Elle écrit à sa fille après les avoir lues: «Il y en a qui m'ont amusée et d'autres qui m'ont ennuyée6

      Partie de Montélimar, elle arriva le même jour à Valence. L'évêque de Valence, M. de Cosnac, était une de ses plus anciennes connaissances; il avait envoyé au-devant d'elle son carrosse avec Montreuil7 et son secrétaire pour l'accompagner. Nos lecteurs se rappellent ce joyeux abbé qui, dans la jeunesse de madame de Sévigné, lui écrivait des lettres folles et composait pour elle des madrigaux qu'il fit imprimer et même réimprimer8. Ce fut chez lui qu'elle soupa et logea. L'évêque et ses deux nièces vinrent lui rendre visite; mais, en entrant dans la ville, elle s'était dirigée directement chez ce prélat. «Il a bien de l'esprit, dit-elle à madame de Grignan. Ses malheurs et votre mérite ont été les deux principaux points de sa conversation9

      Les malheurs de Daniel de Cosnac se réduisaient à ce qu'il était forcé de résider dans son diocèse, sous le plus beau climat et dans le plus riant pays de France. Mais, homme de cour plutôt qu'évêque, il considérait comme un exil l'obligation où il se trouvait de ne pouvoir être à Versailles ou à Saint-Germain. Par son esprit et son adresse il s'était introduit fort jeune chez le prince de Conti, et contribua à son mariage avec la nièce de Mazarin10. Cosnac n'avait que vingt-deux ans lorsqu'il négocia avec une rare habilité ce qu'on appelait la paix de Bordeaux. Mazarin, pour ses signalés services, le fit nommer évêque de Valence; mais, au lieu de remplir les devoirs de son épiscopat, Cosnac s'attacha à MONSIEUR, qui le nomma son premier aumônier. Les conseils qu'il donna à ce prince et que celui-ci ne suivit pas occasionnèrent son exil11. Dévoué de cœur à MADAME (l'aimable Henriette), il vint incognito à Paris; et, pour cet acte de désobéissance aux ordres du roi, il fut mis en prison, puis envoyé à l'Ile-en-Jourdain. Après quatorze ans d'exil, il avait enfin obtenu la permission de retourner à Valence, où madame de Sévigné fut charmée


<p>1</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (5 octobre 1673), t. III, p. 176, édit. de Gault de Saint-Germain; t. III, p. 101, édition de Monmerqué.

<p>2</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (6 et 10 octobre 1673), t. III, p. 181, édit. G.;—Ibid., t. III, p. 103 et 105, édit. M.

<p>3</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (5 octobre 1673), t. III, p. 178, édit. G.; t. III, p. 101, édit. M.

<p>4</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (11 octobre et 10 novembre 1673), t. III, p. 186, 213, édit. G.; t. III, p. 109, 131, édit. M.

<p>5</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8 décembre 1673), t. III, p. 268, édit. G.; t. III, p. 177, édit. M.

<p>6</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (13 octobre 1673), t. III, p. 188, édit. G.; t. III, p. 111, édit. M.

<p>7</p>

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie DE RABUTIN-CHANTAL pendant la Régence et la Fronde, 2e édit., p. 49 et 50, chap. V.

<p>8</p>

MONTREUIL, Œuvres, 1666, p. 5, 107, 472, 500; 1671, p. 4, 72, 321, 339.—SÉVIGNÉ, Lettres (6 octobre 1673), t. III, p. 179.

<p>9</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (6 octobre 1679), t. III, p. 178, édit. G.; t. III, p. 103, édit. M.

<p>10</p>

GOURVILLE, Mémoires, vol. LII, p. 286.

<p>11</p>

CHOISY, Mémoires, vol. LXIII, p. 369 à 387.—MONTPENSIER, Mémoires, vol. XLIII, p. 135 (année 1663).