Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1). Voltaire. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Voltaire
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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égé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1)

      INTRODUCTION

      Plusieurs esprits infatigables ayant débrouillé autant qu'on le peut, le chaos de l'Antiquité, et quelques Génies éloquents ayant écrit l'Histoire Universelle jusqu'à Charlemagne, j'ai regretté qu'ils n'aient pas fourni une carrière plus longue. J'ai voulu pour m'instruire de ce qu'ils ne disent pas, mettre sous mes yeux un précis de l'Histoire, laquelle nous intéresse, à mesure qu'elle devient plus moderne.

      Ma principale idée est de connaître autant que je pourrai, les mœurs des Peuples, et d'étudier l'Esprit humain. Je regarderai l'ordre des Successions des Rois et la Chronologie comme mes guides, mais non comme le but de mon travail. Ce travail serait bien ingrat, si je me bornais à vouloir apprendre seulement en quelle année un Prince indigne d'être connu, succéda à un Prince barbare.

      Il semble en lisant les Histoires, que la Terre n'ait été faite que pour quelques Souverains, et pour ceux qui ont servi leurs passions; tout le reste est négligé. Les Historiens, semblables en cela aux Rois, sacrifient le Genre-Humain à un seul homme. N'y a-t-il donc eu sur la Terre que des Princes; et faut-il que presque tous les Inventeurs des Arts soient inconnus, tandis qu'on a des suites chronologiques de tant d'hommes qui n'ont fait aucun bien ou qui ont fait beaucoup de mal? Autant il faut connaître les grandes actions des Souverains qui ont changé la face de la Terre, et surtout de ceux qui ont rendu leurs Peuples meilleurs et plus heureux; autant on doit ignorer le vulgaire des Rois, qui ne servirait qu'à charger la mémoire.

      Je me propose de diviser mon étude par Siècles; mais je sens qu'en ne présentant à mon esprit que ce qui se fait précisément dans le Siècle que j'aurai sous les yeux, je serai obligé de trop partager mon attention et de séparer en trop de parties les idées suivies que je veux me faire, d'abandonner la recherche d'une Nation, ou d'un Art, ou d'une Révolution, que pour ne la reprendre que longtemps après. Je remonterai donc quelquefois à la source éloignée d'un Art, d'une Coutume importante, d'une Loi, d'une Révolution. J'anticiperai quelquefois, mais le moins que je pourrai, et en évitant, autant que ma faiblesse me le permettra, la confusion et la dispersion des idées. Je tâcherai de présenter à mon esprit une peinture fidèle de ce qui mérite d'être connu dans l'Univers.

      Avant de considérer l'état où était l'Europe vers le temps de Charlemagne, et les débris de l'Empire Romain, j'examine d'abord s'il n'y a rien qui soit digne de mon attention dans le reste de notre Hémisphère. Ce reste est douze fois plus étendu que la Domination Romaine, et m'apprend d'abord que ces monuments des Empereurs de Rome, chargés des titres de Maîtres et de Restaurateurs de l'Univers, sont des témoignages immortels de vanité et d'ignorance, non moins que de grandeur.

      Frappés de l'éclat de cet Empire, de ses accroissements et de sa chute, nous avons dans la plupart de nos Histoires Universelles traité les autres hommes comme s'ils n'existaient pas. La Province de la Judée, la Grèce, les Romains se sont emparés de toute notre attention; et quand le célèbre Bossuet dit un mot des Mahométans, il n'en parle que comme d'un déluge de Barbares. Cependant beaucoup de ces Nations possédaient des Arts utiles, que nous tenons d'elles: leurs Pays nous fournissaient des commodités et des choses précieuses, que la Nature nous a refusées, et vêtus de leurs étoffes, nourris des productions de leurs terres, instruits par leurs inventions, amusés même par les jeux qui sont le fruit de leur industrie, nous nous sommes fait avec trop d'injustice une loi de les ignorer.

      ABRÉGÉ DE L'HISTOIRE UNIVERSELLE.

      DE LA CHINE

      En portant ma vue aux extrémités de l'Orient, je considère en premier lieu l'Empire de la Chine, qui dès lors était plus vaste que celui de Charlemagne, surtout en joignant la Corée et le Tonkin1, Provinces alors tributaires des Chinois, environ 29 degrés de longitude et 24 en latitude, forment son étendue. Le corps de cet État subsiste avec splendeur depuis plus de 4000 ans, sans que les lois, les mœurs, le langage, la manière même de s'habiller aient souffert d'altération sensible.

      Son Histoire incontestable et la seule qui soit fondée sur des observations célestes, remonte par la Chronologie la plus sûre, jusqu'à une Éclipse calculée 2155 ans avant notre Ère vulgaire, et vérifiée par les Mathématiciens missionnaires, qui envoyés dans les derniers siècles chez cette Nation inconnue, l'ont admirée et l'ont instruite. Le Père Gaubil a examiné une suite de 36 Éclipses de Soleil, rapportées dans les Livres de Confucius, et il n'en a trouvé que deux douteuses et deux fausses.

      Il est vrai qu'Alexandre avait envoyé de Babylone en Grèce les observations des Chaldéens, qui remontaient à 400 années plus haut que les Chinois, et c'est sans contredit le plus beau monument de l'Antiquité: mais ces Éphémérides de Babylone n'étaient point liées à l'Histoire des faits: les Chinois au contraire ont joint l'Histoire du Ciel à celle de la Terre, et ont ainsi justifié l'une par l'autre.

      Deux cent trente ans au-delà du jour de l'Éclipse (calculée 2155 ans avant notre Ère vulgaire) leur Chronologie atteint sans interruption et par les témoignages les plus authentiques, jusqu'à l'Empereur Hiao, habile Mathématicien pour son temps, qui travailla lui-même à réformer l'Astronomie, et qui dans un règne d'environ 80 ans, chercha à rendre les hommes éclairés et heureux. Son nom est encore en vénération en la Chine, comme l'est en Europe celui des Titus, des Trajans, et des Antonins.

      Avant ce Grand-homme, on trouve encore six Rois ses prédécesseurs; mais la durée de leur règne est incertaine. Je crois qu'on ne peut mieux faire dans ce silence de la Chronologie, que de recourir à la règle de Newton, qui ayant composé une année commune des années qu'ont régné les Rois de différents Pays, réduit chaque règne à 22 ans ou environ. Suivant ce calcul, d'autant plus raisonnable qu'il est plus modéré, ces six Rois auront régné à peu près 130 ans, ce qui est bien plus conforme à l'ordre de la nature, que les 250 ans qu'on donne, par exemple, aux sept Rois de Rome; et que tant d'autres calculs démentis par l'expérience de tous les temps.

      Le premier de ces Rois, nommé Fohi, régnait donc 25 siècles au moins avant l'Ère vulgaire, au temps que les Babyloniens avaient déjà une suite d'observations astronomiques: et dès lors la Chine obéissait à un Souverain. Ses 15 Royaumes réunis sous un seul homme, prouvent que longtemps auparavant cet État était très peuplé, policé, partagé en beaucoup de Souverainetés; car jamais un grand État ne s'est formé que de plusieurs petits; c'est l'ouvrage du temps, de la politique et du courage.

      La Chine était au temps de Charlemagne comme longtemps auparavant, et surtout aujourd'hui, plus peuplée encore que vaste. Le dernier dénombrement dont nous avons connaissance, fait seulement dans les 15 Provinces qui composent la Chine proprement dite, monte jusqu'à près de 60 millions d'hommes capables d'aller à la guerre; en ne comptant ni les soldats vétérans, ni les vieillards au-dessus de 60 ans, ni la jeunesse au-dessous de 20 ans, ni les Mandarins, ni la multitude des Lettrés, ni les Bonzes, encore moins les Femmes qui sont partout en pareil nombre que les hommes à un 13 ou 14 près, selon les observations de ceux qui ont calculé avec le plus d'exactitude ce qui concerne le Genre-humain. À ce compte il paraît impossible qu'il y ait moins de 130 millions d'habitants à la Chine: notre Europe n'en a pas probablement beaucoup davantage, à compter (en exagérant) 20 millions en France, 25 en Allemagne, et le reste à proportion.

      On ne doit donc pas être surpris, si les Villes Chinoises sont immenses; si Pékin,2 la nouvelle Capitale de l'Empire, a près de six de nos grandes lieues de circonférence, et renferme environ quatre millions de Citoyens: si Nankin,3 l'ancienne Métropole, en avait autrefois davantage: si une simple Bourgade nommée Quientzeng, où l'on fabrique la Porcelaine, contient environ un million d'habitants.

      Les Forces de cet État consistent selon les relations des hommes les plus intelligents qui aient jamais voyagé, dans une Milice d'environ 800000 soldats bien entretenus; cinq cent soixante et dix mille chevaux sont nourris ou dans les écuries ou dans les pâturages de l'Empereur, pour monter les gens de guerre, pour les voyages de la Cour, et pour les courriers publics. Plusieurs Missionnaires, que l'Empereur Cang-hi dans ces derniers temps approcha de sa personne par amour pour les Sciences, rapportent qu'ils l'ont suivi dans ces chasses magnifiques vers la grande Tartarie, où 100000 cavaliers et 60000 hommes de pied marchaient en ordre


<p>1</p>

«Tonquin, Pequin et Nanquin»: dans le texte ci-dessous la lettre «k» sera de même substituée aux deux lettres «qu» de l'édition originale de Jean Neaulme.

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«Tonquin, Pequin et Nanquin»: dans le texte ci-dessous la lettre «k» sera de même substituée aux deux lettres «qu» de l'édition originale de Jean Neaulme.

<p>3</p>

«Tonquin, Pequin et Nanquin»: dans le texte ci-dessous la lettre «k» sera de même substituée aux deux lettres «qu» de l'édition originale de Jean Neaulme.