Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles. Fleury Maurice. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fleury Maurice
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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      Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles

      CHAPITRE PREMIER

1788

      Les Bombelles à Versailles. —Journal du marquis. – Mlle de Matignon et l'hôtel de la Vaupalière. – Chez le comte de Montmorin. – M. de Malesherbes et les Loménie de Brienne. – Refus définitif de se marier de Mlle de Rohan-Rochefort. – Le château de Meudon. – Nouvelles extérieures. – La Reine et la duchesse de Polignac. – Nouvelles politiques. – Effervescence des provinces. – Les gentilshommes bretons. – Départ du baron de Breteuil. – Le maréchal de Vaux en Dauphiné.

      Dans une précédente étude1, nous avons laissé le marquis et la marquise de Bombelles à Lisbonne et sur le point de regagner la France. Angélique est partie la première avec ses enfants. Au milieu de mai 1788, les affaires de l'ambassade terminées, le marquis investi d'un congé se mettait en route pour Versailles, avec sa sœur de Travanet, et après une traversée sans incidents notables il débarquait aux Sables-d'Olonne. De là la route est encore longue… Il faut s'arrêter à Niort, à Poitiers, où les officiers leur font fête, à Tours et à Blois, que le marquis visite avec conscience. Il aime à décrire dans son Journal2, le «Jardin de la France»; la «Pagode» de Chanteloup, souvenir élevé par Choiseul à ses amis fidèles, que le duc de Penthièvre, nouveau propriétaire du domaine, a tenu à conserver; le château de Blois, dont l'ancien gouverneur, le comte de Breteuil, lui fait les honneurs avant qu'il ne soit métamorphosé en caserne. A Orléans, l'intendant, M. de Chevilly, est venu dîner avec eux, ce qui fait un petit événement, mais les voyageurs ont hâte de terminer leur voyage. Aussi, à Angerville, dernière couchée, maudissent-ils la comtesse de Bourbon-Busset qui arrive des eaux, veut absolument les voir et les retarde considérablement.

      Ils arrivent, le 30, à la dernière étape. A deux postes d'Angerville, une bande de roue manque… un orage à essuyer… Enfin, les voilà à Versailles, dans la maison retenue près de la porte du Dragon. Grands épanchements de famille. Femme et enfants d'abord; avec quelle joie le marquis les revoit, on le laisse à penser au lecteur. Une ligne de points dans le Journal, il ne veut pas en trop dire. Puis la petite baronne de Mackau, la belle-mère, le beau-frère… on s'embrasse avec transports, «on se dit avec confusion ce qu'on se redira avec plus de calme et d'ordre», et l'on visite la nouvelle demeure où les Bombelles, sans doute, vont gîter quelque temps. La maison n'est pas très grande, ni bien distribuée, mais elle est riante et plaît à Angélique, elle est en bon air, ce qui est l'essentiel pour les enfants. Par un escalier ils pourront descendre dans le parc, et grâce à une série de corridors on peut rejoindre le château en restant continuellement à couvert.

      Le lendemain Mme de Travanet s'est rendue à Paris qu'elle avait hâte de revoir. Le frère et la sœur descendent chez Mme de Louvois, dont le fils est fortifié et «joli à peindre sans avoir sa physionomie spirituelle». La première visite de M. de Bombelles devait être pour le baron de Breteuil, mais ce n'est que le soir, à Neuilly, qu'il lui a été donné de voir son protecteur. Là, dans la maison dont M. de Sainte-Foix3 a fait «un séjour magnifique», se préparent les noces somptueuses de Mlle de Matignon, petite-fille du baron, avec le fils du duc de Montmorency.

      En peu de jours, presque en peu d'heures, le marquis de Bombelles remplit ses devoirs sociaux et politiques. Comprendrait-on qu'il différât à se montrer chez la duchesse de Montmorency, chez la comtesse de la Marck, très occupée du mariage du troisième frère du duc d'Aremberg, surtout chez son ministre, le comte de Montmorin, en son hôtel de la rue Plumet4? De cet entretien où il a été question de choses sérieuses, des différends survenus entre les commerçants français en Portugal et l'ambassadeur qui voulait faire respecter les ordonnances royales en vigueur, – toutes choses que le ministre ignorait totalement et dont il aurait préféré n'avoir pas à s'occuper, – le marquis sort «charmé de la politesse de M. de Montmorin, navré de son ton et de ses propos comme ministre. Le cœur saigne, ajoute-t-il, à tout bon serviteur du Roi, de voir avec quelle hâte, quelle légèreté, quelle inconséquence les plus importantes affaires sont traitées.»

      Ce même jour il a dîné à Versailles avec ses enfants, il a rencontré chez M. de Breteuil, à Saint-Cloud, M. de Malesherbes et un nouveau contrôleur des finances, M. de Fourqueux; il a vu au Château la duchesse de Polignac, les deux marquises de Soucy; à Longchamps il a rendu visite à la princesse de Craon, puis il est revenu coucher à Paris en vue de la cérémonie du lendemain.

      Les fêtes données en l'honneur du mariage ne sont pas encore terminées, puisque le lendemain M. de Bombelles se rend de plus, le soir, chez la princesse de Montmorency, mère de la duchesse. L'hôtel est un des plus beaux de Paris, il est décoré avec un goût égal à sa magnificence, le jardin se termine en terrasse sur la Seine5. Illumination de l'hôtel, bateaux chargés de lanternes de couleur et de pièces d'artifice et «conduits par des joûteurs adroits», souper, bal, «tout était bien et parfaitement ordonné».

      Il n'y a que cinq jours que M. de Bombelles est à Versailles et il n'est pas resté une demi-journée en repos. Ainsi le veulent ses fonctions diplomatiques; ainsi le veut aussi son irrésistible goût de mouvement.

      Le 5, il a été dîner à Marnes, chez le comte de Brienne, secrétaire d'État de la Guerre, et aussitôt après à Jardy, chez l'archevêque de Sens. Celui-ci, «tiraillé par tous les esclaves de la faveur, a cependant eu un moment pour s'apercevoir que j'étais chez lui et m'y recevoir honnêtement. Les affidés disent qu'il est très calme sur toutes nos commotions intérieures, mais j'ai assez bonne opinion de lui pour croire que quelque détermination qu'il prenne de faire tête à l'orage, il sent, en homme sensé, que l'on ne peut jamais calculer bien juste sur le point où s'arrêtera l'effervescence des têtes». Ceci n'est qu'une première épigramme, on en soulignera d'autres.

      A Versailles il a été admis à présenter ses devoirs à Madame Élisabeth, mais à peine «a-t-il eu la satisfaction d'embrasser ses enfants qu'il a trouvés fort gais», qu'il est revenu à Paris «pour se revêtir de la robe nuptiale» et se rendre chez le marquis de la Vaupalière6, faubourg Saint-Honoré.» La marquise souffrante d'un commencement de grossesse ne peut songer à l'accompagner, aussi a-t-il noté, pour les lui conter, tous les détails de cette fête «la plus belle de celles qui ont été données pour la noce de Mlle de Matignon; aucune n'a eu l'ensemble, l'ordre, la recherche et l'agrément de celle de l'hôtel de La Vaupalière7

      Ruggieri s'est surpassé, le feu d'artifice eût été digne d'une fête donnée à Versailles. Souper d'une magnificence sans pareille, cuisine recherchée, service somptueux et irréprochable, à tout cela le marquis est sensible. S'il ne donne pas le menu du festin, s'il n'énumère pas la liste des élus de cette réunion superaristocratique, du moins a-t-il sacrifié à son goût de la description en nous exposant en détail comment la table était présentée.

      «Des conduites d'eau artistement ménagées ont fait arriver sur la table une cascade tombant d'un rocher et formant une rivière qui contenait deux cents pintes d'eau; des poissons vivants s'y promenaient, des maisons, des hameaux, tout cela en parfaite proportion se voyait sur l'une et l'autre rive. Des ponts jetés de distance en distance, et d'une vérité aussi grande que les représentations d'hommes et d'animaux qui semblaient les passer ajoutaient au charme du paysage… A l'extrémité opposée du rocher s'élevait, en colonnes de cristal, le temple de l'hymen. Les glaces ont été servies pour la plupart attachées suivant leur forme de fruit à des arbres d'un feuillage analogue. En sortant de table, on s'est promené dans le jardin qui semblait une féerie durant toute la nuit.»

      Le marquis est revenu à Versailles débarrassé des fêtes nuptiales, mais il a encore des ministres à saluer. Il n'a trouvé chez lui que M. de Malesherbes dont il trace ainsi le portrait: «…Avec des connaissances profondes, un esprit agréable et des choses qui tiennent au génie, il est d'une abstraction qui ne lui permit et ne lui permettra jamais d'appliquer son savoir au profit des affaires publiques. Gémissant par instant comme tout bon citoyen de la situation actuelle de la France, il passe un


<p>1</p>

Angélique de Mackau et la Cour de Madame Élisabeth, Emile-Paul, 1905.

<p>2</p>

Fragment des Mémoires de Bombelles que je tiens de M. le comte de Castéjà, son arrière-petit-fils. Le reste de ces Mémoires est en la possession de M. le comte Louis de Bombelles qui habite l'Autriche. Il eût été intéressant sans doute de les publier en entier; mais, d'après les instructions formelles du marquis entré dans les ordres après la mort de sa femme, et qui réprouvait certains chapitres tracés par l'homme de cour, ces Mémoires ne verront pas le jour.

<p>3</p>

Radix de Sainte-Foix, ancien commis aux Affaires étrangères, devenu trésorier général de la Marine. Il fut le commensal et le favori de Choiseul, et il «inventa» avec le duc de Fitz-James la future comtesse du Barry.

<p>4</p>

L'hôtel du comte de Montmorin, construit en 1720, rue Plumet, aujourd'hui rue Oudinot, fut habité, entre autres propriétaires, par le comte Rapp, le duc d'Aumont, le marquis de la Roche-Dragon qui céda cette demeure à la ville de Paris. On sait que les Frères des Ecoles chrétiennes y résidaient jusqu'en ces derniers temps.

<p>5</p>

Cet hôtel se trouvait quai d'Orsay, là où commence la rue Solférino.

<p>6</p>

Pierre-Etienne Maignard, marquis de la Vaupalière, né en 1731, lieutenant général en 1784.

<p>7</p>

L'hôtel de la Vaupalière est celui qui porte aujourd'hui le no 85, faubourg Saint-Honoré. Il avait appartenu au marquis d'Argenteuil et aux de Chastenay.

Depuis les la Vaupalière, il fut la résidence du baron Rœderer, du comte Le Hon, du comte Molé. Il appartient aujourd'hui au baron Gérard.