Observations grammaticales sur quelques articles du Dictionnaire du mauvais langage. Deplace Guy-Marie. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Deplace Guy-Marie
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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      Observations grammaticales sur quelques articles du Dictionnaire du mauvais langage

      PRÉFACE

      Le Mauvais Langage corrigé est, sans contredit, un livre utile et propre à faire disparoître un grand nombre de locutions vicieuses usitées à Lyon, même parmi les personnes qui se piquent de parler correctement. Néanmoins un pareil ouvrage, pour répondre à son titre, me paroît exiger un travail beaucoup plus étendu et sur-tout plus approfondi que celui que M. Molard vient de publier.

      Il est naturel que l'attention du Lexicographe se porte d'abord sur les mots considérés séparément et sans rapport à leur construction grammaticale. Il faut faire connoître ceux que proscrit le bon usage, en déterminer la valeur précise, et indiquer avec justesse ceux qu'il convient de leur substituer. Mais est-il à propos de comprendre dans cette nomenclature les expressions qui n'appartiennent qu'aux dernières classes du peuple? Les gens qui les emploient n'achètent pas de dictionnaire; ils ne lisent pas. Et d'ailleurs on feroit des volumes si l'on vouloit recueillir cette foule de mots bizarres, ridicules, dénaturés de mille manières, et souvent créés par l'ouvrier ignorant, au moment même où il en a besoin pour rendre sa pensée. Un livre de grammaire n'est destiné qu'aux personnes qui mettent quelque intérêt à bien parler, et ce n'est certainement pas de la bouche de ces personnes que sortent des mots tels que ceux-ci: agotiau, apincher, bleusir, cologne, égrafiner, et tant d'autres que je me dispense de citer.

      Mais ce ne sont pas seulement les termes surannés, impropres ou barbares qui altèrent la pureté de la langue. Les alliances de mots que le goût réprouve, l'emploi irrégulier de certains temps ou de certaines personnes des verbes, la mauvaise construction des autres parties du discours, en un mot, les fautes locales contre la syntaxe, fautes si communes et si graves, voilà, ce me semble, ce qui doit principalement occuper l'écrivain qui veut être le réformateur du langage.

      Toutefois, en embrassant les divers objets dont je viens de parler, il n'atteindra son but qu'autant que ses jugemens exprimés d'une manière nette, exacte et précise, seront d'ailleurs conformes aux règles d'une saine logique et aux décisions de ceux dont l'autorité en fait de langue est universellement reconnue. Il lui importe par-dessus tout de ne rejeter un mot, une phrase, qu'après avoir acquis la certitude que cette phrase, ce mot, méritent de l'être. Sans cette précaution, on censure souvent ce qu'on ignore: à un mot précieux par son exactitude, on en substitue un autre qui n'exprime que vaguement la même idée, et l'on appauvrit ainsi la langue au lieu de l'épurer.

      Un livre de la nature de celui dont il s'agit ici, ne doit donc contenir que des décisions fondées sur des principes fixes et incontestables. Il faut qu'on ne puisse pas élever le moindre doute sur les assertions du grammairien qui prononce en maître, et que si par hasard le lecteur peu docile veut remonter aux sources, il n'en revienne qu'avec plus de défiance de lui-même et plus de respect pour l'écrivain.

      Quel que soit d'ailleurs le mérite du Dictionnaire de M. Molard, il ne réunit malheureusement pas tous les caractères dont je viens de parler, et l'on risqueroit plus d'une fois de s'égarer en le suivant aveuglément. La plupart des articles qui le composent sont exacts; mais il en est encore un bien grand nombre qui renferment des décisions absolument opposées à celles des maîtres. Quelquefois ce Grammairien condamne des expressions admises par l'Académie, et les remplace par d'autres beaucoup moins précises. D'autres fois, il cherche à étayer ses opinions par des principes que l'usage et la logique s'accordent à rejeter. Ces erreurs sont d'autant plus dangereuses que le nom de l'auteur suffit aux yeux de bien des gens pour leur donner du crédit.1 Il me paroît important de les faire connoître, et c'est le but des Observations que l'on va lire. Il n'y sera pas question du style de l'auteur; mon intention n'est point de m'arrêter à ce qui lui est personnel. En prenant la plume, je n'ai d'autre motif que celui d'être utile, et d'éclairer l'ignorance de quelques personnes consacrées à l'éducation, qui, lorsqu'on leur assure que telle ou telle expression est exacte, se contentent de répondre que cette expression est condamnée dans le Dictionnaire du mauvais langage.

      Je suivrai dans mes Observations l'ordre alphabétique adopté par M. Molard: je rapporterai fidèlement ses articles; mes remarques viendront après.

      Nota. Je dois avertir que lorsque je cite l'Académie, je n'entends parler que du dernier Dictionnaire qu'elle a elle-même publié, Dictionnaire qu'il ne faut point confondre avec ceux qui depuis quinze à vingt ans ont paru sous le nom de cette illustre compagnie, et qui ne font pas autorité.

      I

      À. On ne doit pas sous-entendre cette préposition dans la phrase suivante et autres semblables: ma curiosité a failli être punie. Dites, à être punie.

      Faillir ne se construit pas avec la préposition de.

      Faillir à et faillir de sont deux locutions également françoises, et autorisées, en ces termes, par l'Académie: «On dit qu'une chose a failli à arriver, d'arriver, pour dire qu'elle a été sur le point d'arriver, qu'il a tenu à peu qu'elle n'arrivât. Il a failli à être assassiné; j'ai failli à tomber, j'ai failli de tomber. Toutes ces phrases sont du style familier.»

      II

      Affairé. Il est très-affairé. Quoique cette expression soit généralement répandue, elle n'en est pas moins vicieuse.

      En lisant le Dictionnaire de M. Molard, je n'ai pu qu'être étonné de voir que l'auteur eût si souvent oublié de consulter l'Académie. Affairé n'est point une expression vicieuse. On dit d'un homme qui a beaucoup d'affaires, qu'il est très-affairé. C'est un mot du style familier.

      III

      Air. Doit-on dire cette femme a l'air bon ou a l'air bonne? Les sentimens sont partagés. Ceux qui soutiennent qu'il faut dire a l'air bon, disent que c'est le mot air qui régit l'adjectif; car c'est l'air qui est bon… M. Domergue nous apprend que M. de Laharpe (pris pour juge) décida qu'il falloit dire: cette soupe a l'air bonne. Voici sans doute la raison sur laquelle il fondoit sa décision. Quand on dit: cette soupe a l'air bonne, il y a ellipse; c'est comme si l'on disoit cette soupe paroît bonne; cette soupe, a l'air d'être bonne. Les mots a l'air étant l'équivalent du verbe paroît, il s'en suit que l'adjectif doit s'accorder avec le mot soupe qui est du féminin… Je crois que l'usage a décidé la question; par-tout on dit: cette soupe a l'air bonne… Je ne condamne aucune des deux façons de parler.

      Je doute fort que M. de Laharpe ait donné la décision qu'on lui attribue, et les raisons sur lesquelles M. Molard croit que cette décision a pu être fondée, ne me paroissent rien moins que solide. Je vais les examiner.

      «Il y a ellipse, dit Dumarsais, quand on supprime dans le discours quelque mot qui seroit exprimé selon la construction pleine.»

      Si a l'air signifie paroît, où sont, je le demande, les mots supprimés dans cette phrase: Cette femme a l'air bonne? Où est l'ellipse? Il est aisé de voir que M. Molard s'est trompé sur ce premier point, et que ce ne sont pas les mots avoir l'air, mais avoir l'air d'être, qui sont l'équivalent de paroître. En ce cas, à quoi bon employer l'ellipse dans une phrase où la construction naturelle est tout-à-la-fois plus régulière et plus claire?

      En second lieu, si lorsque une locution peut être remplacée par une autre équivalente, on est obligé de se conformer à la construction qu'exige la locution substituée, quelles ne seront pas les conséquences d'un pareil principe? Il sera permis de dire: Cet homme a la mine fier, cet enfant a la mine méchant; et l'on justifiera ce langage barbare par des raisons telles que celles-ci: Avoir la mine signifie paroître; ou bien par cette autre: il y a ellipse; Avoir la mine méchant, signifie avoir la mine d'être méchant.

      Au lieu de ces singuliers raisonnemens, ne vaut-il pas mieux reconnoître que dans le cas dont nous parlons, comme dans tous les autres, l'adjectif se rapporte au substantif auquel il est joint et s'accorde avec lui? Et l'Académie ne consacre-t-elle pas ce principe, lorsque parlant en général et sans désigner le sujet, elle cite ces locutions:


<p>1</p>

Cela a lieu sur-tout dans quelques pensions.

On feroit un livre vraiment curieux si l'on recueilloit toutes les locutions vicieuses que certaines personnes substituent au bon langage avec l'intention de corriger celui qui est mauvais. Ici l'on dit qu'on va promener, là qu'on ne mouche pas; ailleurs, on recommande à une demoiselle de se tenir droit, etc. M. Molard condamne les deux premières de ces locutions; il autorise la troisième.