Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4). Dorothée Dino. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dorothée Dino
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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thée Dino

      Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)

      1836

      Paris, le 2 janvier 1836.– M. de Talleyrand prône beaucoup M. Molé, pour le faire recevoir de l'Académie française; il est également appuyé par M. Royer-Collard et par les ministres; c'est ce qui faisait dire, hier au soir, à M. Villemain, que toutes les influences les plus diverses et les plus inverses se réunissaient pour porter ou exporter M. Molé à l'Académie, que lui, Villemain, l'y importait de toutes ses forces, puisque, d'ailleurs, le fauteuil académique n'empêchait pas d'autres sièges. Les jeux de mots et les pointes ne manquaient pas dans cette phrase, ni la malignité non plus!

      On parlait beaucoup des différents discours tenus au Roi, à l'occasion de la nouvelle année, entre autres de celui de M. Pasquier, remarquable par le mot de sujet qu'il a eu la témérité de reproduire, et que M. Villemain appelait un mot progressif.

      Le Roi est charmé du discours du comte Apponyi, et le Corps diplomatique, de la réponse du Roi. Du reste, Fieschi et Mascara1 ont été de vraies bonnes fortunes pour tous les faiseurs de discours: on a remarqué des émotions et des attendrissements infinis, et quant à M. Dupin, c'étaient des sanglots!

      A propos de M. Pasquier, on s'est amusé à mettre dans un mauvais journal qu'il est tombé malade dernièrement pour avoir reconnu dans Fieschi un fils naturel! La vieille comtesse de la Briche, qui commence à radoter, a été, très sérieusement, et avec des «hélas!» incomparables, raconter cette bêtise dans le salon archi-carliste de Mme de Chastellux. Comprend-on quelque chose d'aussi stupide! Les rires ont été extrêmes!

      Paris, 4 janvier 1836.– La seconde fille de Mme de Flahaut est au plus mal. Son état m'a fourni, hier, l'occasion d'appliquer la parabole si parfaitement vraie de la poutre et du brin de paille, en entendant Mme de Lieven parler de la mère et me dire: «Comprenez-vous Mme de Flahaut qui, dans un pareil moment, me parle politique et demande ses chevaux pour aller chez Madame Adélaïde; qui quitte la chambre de sa fille pour causer des affaires publiques avec les personnes qui sont dans son salon, et qui m'invite à dîner pour demain, afin, dit-elle, de se distraire et de ne pas rester seule avec son inquiétude?» Il est donc vrai que personne de nous ne se voit passer! Cela fait faire des retours effrayants sur soi-même.

      Le fameux message du Président Jackson2, si impatiemment attendu, est arrivé par la voie d'Angleterre au duc de Broglie. Celui-ci, cinq heures après, est allé chez le Roi lui dire qu'il l'avait reçu; le Roi a demandé à le voir, M. de Broglie lui a dit qu'il était très insignifiant et qu'il l'avait déjà envoyé aux journaux!.. Il a dit la même chose à son collègue, M. Thiers, qui, sur la foi de ce propos, a répété pendant toute la soirée, à ceux qu'il rencontrait, que le message était de toute nullité. Le lendemain, le Roi et M. Thiers lisent ce message dans le journal et le trouvent très habilement fait, très rude pour M. de Broglie personnellement, mais satisfaisant pour le pays, et précisément ce qu'il fallait pour terminer le différend. Là-dessus, conseils sur conseils, discussions vives, enfin triomphe de la volonté royale, soutenue par M. Thiers, et par l'effet de laquelle on se tiendra pour suffisamment satisfait du message. On déclinera la médiation de l'Angleterre, en déclarant que la France est prête à payer les termes échus de la somme de 25 millions. M. de Broglie a fini par céder, mais avec toute la peine que son amour-propre personnel lui causait. Il s'était d'abord refusé à montrer la note par laquelle il remerciait l'Angleterre de ses offres de médiation, mais enfin elle a été soumise hier au Roi. On dit qu'elle est trop longue, diffuse, métaphysique. Les paroles ont été vives dans le Conseil des ministres, cependant tout a fini, parce que le Roi a tendu la main au duc de Broglie en lui disant une parole gracieuse. Cela n'empêche pas qu'au fond, l'humeur ne soit grande, d'un côté et de l'autre. Au reste, cette guerre avec les États-Unis déplaisait beaucoup au commerce français; ainsi ce résultat définitif fera, probablement, bon effet dans le public.

      Paris, 11 janvier 1836.– J'ai eu, hier matin, la visite de M. Royer-Collard: il venait de voir M. Berryer, fort dégoûté et ennuyé, qui lui avait parlé de Prague. Il lui a raconté qu'on y pensait et y disait beaucoup de bien de lui, M. Royer; que Charles X avait répété plusieurs fois qu'il craignait de n'avoir pas fait assez attention à différentes choses qu'il lui avait dites dans un long entretien qu'ils eurent ensemble à l'époque de la fameuse adresse3 de 1830. Mais, ce qui est curieux, c'est que le vieux Roi, ayant voulu chercher à retrouver ces choses importantes dont il avait un vague souvenir, ne put y parvenir. N'est-ce pas là tout l'homme? Bon cœur et insuffisance!

      Paris, 16 janvier 1836.– On a cru, hier, qu'après l'algarade de M. Humann, le ministre des Finances, à la Chambre des Députés, où il a abordé si imprudemment la question de la réduction des rentes, sans en avoir prévenu ses collègues, il y aurait dissolution du Ministère, mais cela s'est arrangé, et, pour le moment, tout reste au même point.

      Le Roi a lui-même vu et calmé le comte de Pahlen, et on espère que le discours du duc de Broglie, à la Chambre des Députés, n'amènera pas d'orage4.

      Paris, 24 janvier 1836.– La Chambre des Députés est restée émue et hargneuse, et cette session, si anodine dans son début, donne assez de tracas à ceux qui sont chargés de la gouverner. Son humeur est surtout contre le duc de Broglie, dont le ton lui déplaît. Le «Est-ce clair?» qu'il lui a dit l'autre jour, a bien de la peine à se faire pardonner5.

      Paris, 28 janvier 1836.– Nous dînions hier chez le maréchal Maison; dîner curieux sous mille rapports, mais particulièrement sous celui des histoires que contait la Maréchale; en voici une qui m'a fait rire longtemps après que j'étais sortie. On parlait des bals nombreux et de la difficulté de savoir exactement le nombre des personnes qui s'y rendaient effectivement; à cela, la Maréchale se mit à dire, à haute et aigre voix: «J'ai un moyen parfait, que j'ai toujours employé avec succès dans tous les bals que j'ai donnés: je place ma femme de chambre derrière la porte, avec un sac de haricots près d'elle, et je lui dis: «Mariette, à chaque personne qui entrera, vous prendrez un haricot du grand sac, et vous le jetterez dans votre ridicule». Alors, le compte est exact, et c'est la bonne manière.» Le fou rire m'a si bien prise, que j'ai pensé étouffer. Il en est arrivé autant de Mmes de Lieven, de Werther, de Lœwenhielm, qui étaient là.

      Paris, 1er février 1836.– Si j'étais dans mon cher Rochecotte, comme l'année dernière, je croirais, le 1er février, entrer dans le printemps, au lieu qu'ici il n'en est rien! Depuis quelque temps, je reprends mes déplaisances pour Paris, non pas que l'on y soit mal pour moi, au contraire, mais parce que la vie y est trop fatigante, l'air trop aigre, les intérêts trop divers et trop multipliés, sans être assez puissants; aucun loisir, des sollicitudes infinies, avec un vide sensible.

      A Londres, j'étais dans un monde grand et simple; j'y avais du succès et du repos tout à la fois. M. de Talleyrand y jouissait d'une bonne santé, il y faisait de grandes affaires. Les agitations que j'y ai éprouvées valaient au moins leur enjeu; j'avais le temps de m'occuper, de lire, de travailler, d'écrire, de réfléchir; je n'étais pas bousculée par tous les désœuvrés. L'impôt des visites ne se prélève à Londres que sur une voiture vide et sur des cartes; enfin, je prenais plaisir à vivre… Voilà pourquoi il me prend de profonds et mélancoliques regrets, après ces années qui ne reviendront plus; ou bien pour ce doux et tranquille Rochecotte, cet horizon si vaste, ce ciel si pur, cette maison si propre, ces voisins simples et bienveillants, mes ouvriers, mes fleurs, mon gros chien, ma petite vache, la chevrette, le bon Abbé, le modeste Vestier, le petit bois où nous allions ramasser des pommes de pin; pour ce lieu où je vaux mieux qu'ailleurs, parce que j'ai le temps d'y faire d'utiles retours sur moi-même, d'y éclaircir ma pensée, d'y pratiquer le bien, d'éviter le mal, de me mêler, par la simplicité du cœur et de l'esprit, à cette belle, forte et gracieuse nature qui m'abrite, me rafraîchit et me repose… Mais trêve de gémissements sur moi-même, inutiles et maussades!

      J'ai vu le docteur Ferrus, hier, à son retour de Ham. Voici ce qui s'y est passé. Les instructions des médecins étaient extrêmement bienveillantes, et leurs dispositions aussi; mais il aurait fallu trouver


<p>1</p>

Mascara, en Algérie, fut prise par les Français en 1835.

<p>2</p>

On trouvera ce message aux pièces justificatives de ce volume. – En 1834, Jackson avait réclamé au gouvernement de Louis-Philippe, de façon très hautaine, une indemnité de 25 millions, due aux États-Unis, pour les bâtiments saisis sous l'Empire, menaçant de confisquer, en cas de refus, les propriétés des Français établis sur le territoire de l'Union. Toute légitime que fût la réclamation, ses formes blessantes la firent longtemps repousser, jusqu'à une rétractation du président Jackson contenue dans le message dont il est ici question.

<p>3</p>

L'adresse des 221 (3 mars 1830). – C'était une réponse au discours du trône; et les 221 députés y exposaient nettement leur mécontentement de voir M. de Martignac remplacé, comme président, par le prince Jules de Polignac.

<p>4</p>

Le discours auquel il est fait allusion se trouve aux pièces justificatives de ce volume.

<p>5</p>

M. Humann ayant présenté à la Chambre, comme une mesure nécessaire, la conversion des rentes 5 pour 100 que M. de Villèle avait déjà vainement tentée en 1824, l'accueil de la Chambre fut plutôt favorable. Mais le Cabinet, qui n'avait pas connu à l'avance cette communication, se montra blessé, et M. Humann donna sa démission. Une interpellation sur cette question eut lieu à la Chambre le 18 janvier. Le duc de Broglie ouvrit la discussion: «On nous demande, dit-il, s'il est dans les intentions du gouvernement de proposer la mesure dans cette session. Je réponds: Non! Est-ce clair?» Ce dernier mot souleva une animosité unanime et fut aussitôt commenté défavorablement.