Yvonne. Delpit Édouard. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Delpit Édouard
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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ses forces, à réaliser vos rêves de gloire.

      – Tant de générosité me flatte; mais j'entends faire mon chemin seul, en ne demandant l'aide que de Dieu.

      – Soyez franc, s'écria Léonie, s'il s'agissait de Willmann, non de moi, vous accepteriez. Et, lui saisissant les mains, rapprochant son visage du visage de Robert, elle ajouta, connue dans un transport de passion blessée: Avoue-le, tu refuses parce que c'est moi. Je te devine, tu me hais. Tu me hais de t'avoir abandonné aux Benoît, de ne t'avoir pas ouvert les bras devant madame Laffont. Et ce qu'il y a de terrible là-dedans, c'est que tu as raison de me haïr. J'ai été mauvaise, sans entrailles, implacable. Aussi, j'avais perdu la tête, c'est mon excuse. Je ne savais pas ce que je faisais. Et je ne te connaissais pas. A présent, je te connais. Tu es le fantôme de mes veilles, ma conscience, plus que cela: mon cœur, puisque, à force de te redouter, je me suis mise à t'aimer. Oui, de cette tendresse irraisonnée, instinctive, qu'on a pour l'œuvre de sa chair, parfois, hélas! – comme représailles divines – pour l'œuvre de ses cruautés. Si tu veux te venger de moi, persiste à me repousser. Le remords me tue, aide-le.

      Une sorte d'effroi s'était emparé de Robert.

      – Que m'êtes-vous donc, madame, pour me tenir un pareil langage?

      – Moi?.. Je suis…

      Elle s'arrêta, épouvantée de ce qu'elle allait dire, et, d'une voix où toutes ses terreurs suppliaient:

      – Oh! ne me le demande jamais, jamais! J'ai tant besoin de ton pardon, je te suis la cause de tant de maux!

      – Mon Dieu! bégaya Robert qu'affolait une pensée soudaine; seriez-vous ma mère?

      Elle poussa un cri. Sa mère! Brusquement elle roula sur le sol, comme une masse sans connaissance.

      III

      Le surlendemain Willmann vint prendre Robert au saut du lit.

      – Enlevée, la permission, à la pointe de la baïonnette! En route.

      – Quelle chance, mon ami! Vous avez obtenu?..

      – Bah! il n'y fallait même pas de baïonnette. Le hasard a de ces bouffonneries. Le proviseur me connaît, moi qui me figurais n'être connu de personne. Il est vrai que la montagne Sainte-Geneviève est un des pics de la bohème et la bohème mon royaume de ce monde…

      – Ainsi, Gaston?..

      – M'est confié pour toute la journée. Je le fais sortir, te le passe et me sauve, car j'ai deux ou trois rendez-vous, ce matin.

      Ils prirent d'un pas allègre le chemin du lycée Henri IV. Sa nouvelle existence cloîtrée pesait fort au jeune Laffont. A dix-huit ans, troquer son indépendance, la liberté des vastes champs contre l'étouffement des murs, c'est un rude coup. Gaston souffrait d'autant plus que, profondément atteint par la mort de son père et résolu de devenir le soutien de sa mère et de sa sœur, il lui fallait regagner tout un arriéré de paresse. Aussi s'absorbait-il dans le travail, ce qui doublait l'ennui de la prison d'une sorte d'isolement au milieu de ses camarades. Ceux-ci, mis en verve de malice par sa simplicité, ses candeurs de rural, le tourmentaient à plaisir. Il laissait faire, avec des rages intérieures. Ses seules joies étaient les visites de Robert. Tous deux retrouvaient alors un peu de leur bonheur ancien, se contaient leurs déboires, se consolaient l'un l'autre, et, réconfortés par l'amitié, revoyaient les jours déjà lointains de la Riveraine, les travaux communs sous l'œil vigilant du père, les courses vagabondes au bord du Rhône, et les grâces de la petite sœur restée dans le nid d'où ils étaient tombés.

      Ce dimanche-là, ce ne fut pas une médiocre surprise pour Laffont d'être dehors, au grand air, entre Robert et Willmann.

      – Vous me remercierez une autre fois, mes petits, grommela le vieil artiste, dont on étreignait le bras. Je vous ai donné la clef des champs. Usez, n'abusez pas. Moi, je vous lâche. Oui, oui… des affaires… As-tu encore de l'argent, toi?

      – Ne vous inquiétez pas.

      – Hein?.. Drôle de garçon!.. Fier comme un Castillan! Mais nous autres, artistes… Et, poussant Gaston du coude, l'index au front: Tous un grain.

      Sur les quais, il quitta les jeunes gens, lestés de conseils sages et d'indications qui l'étaient moins, telles que restaurants à la mode, cafés du high-life, etc.

      – Il croit, dit Gaston, que le Pactole coule chez nous.

      Robert, sans répondre, tapota la poche de son gilet, où sonnait le tintement de pièces d'or.

      – Bah? fit l'autre, surpris. Moi qui comptais, en fait d'agapes, manger de l'air et boire du soleil. D'où cela te vient-il?

      – De mon premier concert.

      Ils marchaient le long de la Seine, sous les gaietés du ciel, remontant vers le Jardin des Plantes, au hasard. Robert disait tout, la rencontre de Willmann, la fête, le gros succès, l'entretien avec madame de Randières, et, quand il la voyait à ses pieds, sans connaissance, son angoisse douloureuse. Ne se sentant ni le courage ni même la force de la secourir, il appelait, des domestiques enlevaient la baronne, elle n'était plus rentrée dans les salons. Le lendemain, branle-bas général chez Duparc. Willmann y semait des tempêtes, apportait de nouveau les propositions faites la veille, le morigénait de la belle manière de ne s'être pas précipité sur l'aubaine et l'avertissait que Duparc lui rendait de grand cœur sa liberté, puisqu'il s'agissait d'un avenir superbe.

      – Qu'as-tu répondu?

      – Je me suis donné jusqu'à demain pour la réflexion… Tu trouves sans doute que je n'ai même pas à réfléchir; il fallait refuser?

      Gaston savait l'histoire de la présentation, la fuite hautaine de chez madame de Randières. D'instinct, cette femme lui était odieuse. Qu'elle eût des remords tardifs, tant mieux, il ne l'en plaignait pas. Mais il se rappelait les dégoûts, vaillamment réprimés, de Robert pour le genre de travail devenu son gagne-pain; il connaissait les soifs de sa nature d'élite, les rêves de gloire entrevus par le père et que la dure nécessité risquait d'anéantir en stérilisant le cerveau dans le combat pour la vie. S'envoler en plein éther, ouvrir l'aile aux souffles caressants, quelle tentation!

      Quand elle triompherait des révoltes de la première heure, oserait-il blâmer?

      Il demanda:

      – Crois-tu que chez elle, tu puisses être heureux?

      – Ce n'est pas de moi qu'il s'agit.

      – De qui, alors?

      – De cette femme qui mit tant de zèle à me bannir de son existence et met tant de passion à m'y faire rentrer, qui m'inspire de la répulsion et dont la pensée me suit cependant partout, qui sait d'où je sors et refuse de me le dire, et se trouve mal quand je l'interroge. Suis-je sûr d'avoir le droit de la repousser, de la détester? Ma mère, peut-être!

      – En ce cas, elle t'a dégagé de tes devoirs de fils.

      – Elle ne le pouvait pas. Un fils n'est jamais un juge. Rien ne le dégage de ses devoirs. Et, puisque je suis dans l'incertitude, le mien est, à tout prendre, quand elle m'appelle, d'obéir.

      Gaston lui serra la main. Un attendrissement le gagnait devant cette figure où, dans le lointain des ans, il revoyait l'expression souffreteuse du petit pâtre des Mérilles dormant sous sa haie de mûriers.

      – Tu as raison, dit-il, et vaux mieux que moi. Notre père t'approuverait.

      – Cela me suffit. J'irai chez madame de Randières, pour alléger ses remords, si elle en a.

      Ils remontaient depuis longtemps la Seine, absorbés en leur pensées, ne remarquant pas le chemin parcouru. Le ciel, au-dessus d'eux, riait, dans la sérénité du printemps. Le bruit de la grande ville, derrière, n'arrivait plus que comme une sourde clameur. Ils avaient atteint la banlieue, au delà des fortifications, dans la direction d'Alfort.

      – Où diable sommes-nous? questionna Gaston. La singulière campagne, pleine de légumes, avec des bicoques au milieu de jardins à