Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
e>

      Fortuné du Boisgobey

      Le crime de l’Opéra 2

La pelisse du pendu

      I. Nointel était un garçon méthodique

      Nointel était un garçon méthodique. La vie militaire l’avait accoutumé à faire chaque chose à son heure, et à ne rien enchevêtrer. Au régiment, après le pansage et la manœuvre, le capitaine redevenait homme du monde et même homme à succès, car dans plus d’une ville de garnison il avait laissé d’impérissables souvenirs, et on y parlait encore de ses bonnes fortunes. Depuis sa sortie du service, il avait continué à pratiquer le même système, en faisant toutefois une plus large part à l’imprévu, qui joue un si grand rôle dans l’existence parisienne. Son temps était réglé comme s’il eût été surchargé d’affaires. Il en consacrait bien les trois quarts à la flânerie intelligente, celle qui consiste à se tenir au courant de tout, sans remplir une tâche déterminée; le reste appartenait aux devoirs sociaux, aux relations amicales, et même à des liaisons plus ou moins dangereuses, mais passagères. Il n’avait pas renoncé à voyager au pays de Tendre, seulement il ne s’y attardait guère et il en revenait toujours.

      L’aventure de Gaston Darcy était survenue dans un moment où son cœur se trouvait en congé de semestre. Il avait saisi avec joie l’occasion d’occuper son désœuvrement et de venir en aide au plus cher de ses amis.

      Depuis quarante-huit heures, il appartenait tout entier à la défense de Berthe Lestérel; il s’y était dévoué corps et âme, il menait les recherches avec le même zèle et le même soin qu’il aurait dirigé une opération de guerre, il avait pris goût au métier, et la campagne s’annonçait bien. Le bouton de manchette trouvé par la Majoré, les récits de Mariette et les confidences de M.  Crozon: autant de positions prises dont il s’agissait de tirer parti contre l’ennemi. L’ennemi, c’était la marquise de Barancos, un ennemi qu’il y avait plaisir à combattre, car il était de force à se défendre, et Nointel se faisait une fête de lutter de ruse et d’adresse avec ce séduisant adversaire, de le réduire par des manœuvres savantes, et finalement de le vaincre. Ses batteries étaient prêtes, et il ne demandait qu’à commencer le feu. Mais il pouvait disposer de quelques heures avant d’engager l’action, et il entendait les employer à sa fantaisie.

      Or, il avait l’habitude d’aller, entre son déjeuner et son dîner, fumer quelques cigares au billard du cercle. Il aimait à y jouer et presque autant à y voir jouer, car son esprit d’observation trouvait à s’exercer en étudiant les types curieux et variés qui venaient là de quatre à six cultiver le carambolage. Il jugea qu’après avoir consacré un bon tiers de sa journée à servir la cause de l’innocence et de l’amitié, il avait bien gagné le droit de s’offrir sa récréation favorite. La marquise ne recevait qu’à cinq heures, et il n’avait pas besoin de rentrer chez lui pour s’habiller, son groom ayant ordre de lui apporter au cercle une toilette mieux appropriée à une visite d’avant-dîner que la tenue d’enterrement qu’il portait depuis le matin. Du reste, il n’espérait pas revoir le baleinier ce jour-là, car le correspondant anonyme qui troublait depuis trois mois le repos du malheureux marin lui faisait l’effet de ne pas être très sûr de ce qu’il avançait, et il doutait que ce correspondant en vînt si vite à nommer l’amant de madame Crozon.

      – D’ailleurs, se disait-il en montant l’escalier du cercle, l’amant, c’était Golymine, selon toute apparence, et Golymine est mort. Mais du diable si je devine qui est le dénonciateur. Un ennemi de ce Polonais probablement, un homme qui avait un intérêt quelconque à le faire tuer par Crozon.

      Nointel se dit cela, et n’y pensa plus. C’était sa méthode quand il avait des soucis, ce qui ne lui arrivait pas souvent. Il les laissait à la porte du salon rouge, absolument comme il ôtait autrefois son sabre en entrant au mess des officiers, et quand il franchissait le seuil de la salle de billard, il se retrouvait aussi libre d’esprit et aussi gai qu’au temps où il portait sa jeune épaulette de sous-lieutenant.

      La partie était déjà en pleine activité, quoiqu’il fût de bonne heure. L’hiver, l’affreux hiver de cette année, faisait des siennes; le Bois n’était pas tenable, et les plus déterminés amateurs des sports en plein air avaient été contraints de se rabattre sur des divertissements abrités. Nointel se trouva au milieu de gens qu’il connaissait et qu’il aimait à rencontrer, moins pour jouir de leur conversation que pour se moquer d’eux, quand il en trouvait l’occasion. Il y avait là le jeune financier Verpel, bien coté à la Bourse, à la Banque et dans le monde galant; le lieutenant Tréville, hussard persécuté par la dame de pique et favorisé par les dames du lac; M.  Perdrigeon, homme sérieux, mais tendre, qui employait son âge mûr à protéger des débutantes et à commanditer des théâtres après avoir sacrifié sa jeunesse au commerce des huiles; l’adolescent baron de Sigolène, fraîchement débarqué du Velay, aspirant sportsman et joueur sans malice; Alfred Lenvers, un habile garçon qui se faisait trente mille livres de rente en élevant des pigeons au piquet et au bésigue chinois; M.  Coulibœuf, propriétaire foncier dans le Gâtinais; le major Cocktail, Anglais de naissance, Parisien par vocation et parieur de son état; l’aimable Charmol, ancien avoué et membre du Caveau, le colonel Tartaras, trente ans de service, vingt campagnes, six blessures et un exécrable caractère.

      Simancas et Saint-Galmier manquaient à cette réunion; mais Prébord et Lolif tenaient le billard.

      La partie était fort animée, car les parieurs abondaient, et les deux joueurs passaient pour être à peu près d’égale force. Pour le moment, Lolif avait l’avantage, et il venait d’exécuter, aux applaudissements de la galerie, un carambolage des plus difficiles. Il souriait d’aise, et il se préparait à profiter d’une série qu’il s’était ménagée par ce coup triomphant, lorsqu’il avisa Nointel.

      – Bonjour, mon capitaine, lui cria-t-il du plus loin qu’il l’aperçut. Étiez-vous à l’enterrement de Julia? On m’a dit qu’on vous y avait vu. Moi, j’y étais; malheureusement, je n’ai pas pu aller au cimetière. J’ai été appelé à une heure chez le juge d’instruction. Il y a du nouveau, mon cher. Figurez-vous que…

      – Ah çà! est-ce que vous allez encore nous réciter le Code de procédure criminelle? s’écria le lieutenant Tréville. J’en ai assez de vos histoires de témoignages et de vos découvertes. D’abord il n’y a rien qui porte la guigne comme de parler procès. Quand il m’arrive par hasard de lire la Gazette des Tribunaux, j’en ai pour vingt-quatre heures de déveine. Et j’ai parié dix louis pour vous, mon gros.

      – Le lieutenant a raison, grommela le colonel Tartaras. À votre jeu, sacrebleu! à votre jeu! j’y suis de quarante francs, jeune homme.

      – Ils sont gagnés, mon colonel, dit Lolif en brandissant sa queue d’un air vainqueur. Il me manque neuf points de trente. Vous allez voir comment je vais vous enlever ça.

      – Je fais vingt louis contre quinze pour M.  Lolif, dit le baron de Sigolène.

      – Je les tiens, riposta Verpel, le banquier de l’avenir.

      Et Lolif, tout fier de la confiance qu’il inspirait à un gentilhomme du Velay, se mit en devoir de la justifier en carambolant de plus belle.

      Nointel était charmé des interruptions de la galerie qui l’avaient dispensé de répondre aux interpellations indiscrètes de Lolif, car il ne tenait pas du tout à apprendre aux oisifs du cercle qu’il venait d’honorer de sa présence les obsèques de madame d’Orcival. Il longea le billard sans saluer Prébord, qui, depuis la veille, aux Champs-Élysées, avait pris décidément une attitude hostile, et il alla s’asseoir tout au bout d’une des banquettes de maroquin établies contre les murs de la salle.

      Lolif, surexcité peut-être par sa présence, venait de faire fausse queue, et son adversaire commençait à profiter de sa maladresse.

      Le capitaine n’avait pas plus tôt pris place sur le siège haut perché où trônaient les spectateurs de ce tournoi, qu’un valet de pied vint à lui, portant une lettre sur un plateau d’argent. Nointel regarda l’adresse; elle était d’une écriture qu’il ne connaissait pas, et il décacheta nonchalamment ce pli qui ne l’intéressait guère. Il changea de note en lisant la signature du général Simancas.

      – Oh! oh! dit-il tout bas, que peut avoir à me dire ce Péruvien? Voyons un peu.

      «Cher monsieur, madame la marquise de Barancos me charge de vous informer qu’elle ne recevra pas aujourd’hui,