La corde au cou. Emile Gaboriau. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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      Émile Gaboriau

      LA CORDE AU COU

      PREMIÈRE PARTIE Le feu du Valpinson

      Du reste, voici les faits:

      1. Dans la nuit du 22 au 23 juin 1871, vers une heure, le faubourg de Paris

      Dans la nuit du 22 au 23 juin 1871, vers une heure, le faubourg de Paris, qui est le principal et le plus populeux faubourg de la jolie ville de Sauveterre, fut mis enémoi par le galop frénétique d'un cheval sonnant sur les pavés pointus.

      Quantité de bourgeois se précipitèrent à leurs fenêtres. Ils ne virent dans la nuit sombre qu'un paysan en bras de chemise et la tête nue, talonnant et bâtonnant furieusement une grosse jument blanche qu'il montait à cru.

      Ce paysan, après avoir longé le faubourg, prit à droite la rue Nationale – rue Impériale jadis —, traversa la place du Marché-Neuf, tourna la rue Mautrec et s'arrêta court devant la belle maison qui fait l'angle de la rue du Château. C'est là qu'habite le maire de Sauveterre, M. Séneschal, ancien avoué, membre du conseil général.

      Ayant mis pied à terre, le campagnard empoigna la sonnette et se mit à la secouer si violemment, qu'à l'instant toute la maison fut debout. La minute d'après, un gros et gras domestique, les yeux encore chargés de sommeil, venait ouvrir, et d'un accent irrité s'écriait tout d'abord:

      – Quiêtes-vous, l'homme? Que voulez-vous? Avez-vous bu un coup de trop? Ignorez-vous chez qui vous cassez les sonnettes?

      – Je veux parler à monsieur le maire, répondit le paysan, à l'instant même, réveillez-le…

      M. Séneschalétait tout réveillé. Drapé dans une ample robe de chambre de molleton gris, un bougeoir à la main, inquiet et dissimulant mal son inquiétude, il venait d'apparaître dans le vestibule et avait entendu.

      – Le voilà, le maire, prononça-t-il du ton le plus mécontent. Que lui voulez-vous à cette heure où tous les honnêtes gens sont couchés?

      Écartant le domestique, le paysan s'avança, et sans la moindre formule de politesse:

      – Je viens, répondit-il, vous dire de nous envoyer les pompiers.

      – Les pompiers!

      – Oui, tout de suite, dépêchez-vous! Le maire hochait la tête.

      – Hum!… faisait-il, ce quiétait chez lui la manifestation d'une vive perplexité, hum! hum!

      Et qui n'eûtété perplexe à sa place!

      Pour réunir les pompiers, faire battre la généraleétait indispensable; or, en pleine nuit, faire battre la générale, c'était mettre la ville sens dessus dessous, c'était faire bondir d'épouvante dans leur lit les braves Sauveterriens, qui ne l'avaient que trop entendue, depuis un an, cette lugubre batterie, lors de l'invasion prussienne et ensuite pendant la Commune. Aussi:

      – S'agit-il d'un incendie sérieux? demanda M. Séneschal.

      – Sérieux! s'écria le paysan; comment ne le serait-il pas, par le vent qu'il fait; un vent à décorner les bœufs!

      – Hum! fit encore le maire, hum! hum! C'est que ce n'était pas la première fois, depuis qu'il administrait Sauveterre, qu'ilétait ainsi réveillé par un campagnard venant crier sous ses fenêtres: «Au secours! au feu!…»

      À ses débuts, saisi de compassion, il se hâtait de réunir les pompiers, il se mettait à leur tête et on courait au lieu du sinistre. Et quand on arrivait, essoufflé, suant, après cinq ou six kilomètres franchis au pas de course, on trouvait quoi? Quelque méchant pailler valant bien dixécus, achevant de se consumer. On s'était dérangé pour rien.

      Les paysans des environs avaient si souvent crié au loup, quand il y en avait à peine l'ombre, que le loup venant pour tout de bon, on devait hésiter à les croire.

      – Voyons, reprit M. Séneschal, qu'est-ce qui brûle, en définitive?…

      En présence de tant de délais, le paysan mordait de rage le manche de son fouet.

      – Faut-il donc que je vous répète, interrompit-il, que tout est en feu, que tout flambe: granges, métairies, récoltes, maisons, château, tout!… Si vous tardez encore, vous ne trouverez plus pierre sur pierre du Valpinson.

      L'effet de ce nom fut prodigieux.

      – Quoi! demanda le maire d'une voixétranglée, c'est au Valpinson qu'est le feu?

      – Oui.

      – Chez le comte de Claudieuse?

      – Comme de juste, pardi!

      – Imbécile! que ne le disiez-vous immédiatement! s'écria le maire. (Il n'hésitait plus.) Vite, dit-ilà son domestique, viens me donner de quoi m'habiller… C'est- à-dire, non! Madame m'aidera, car il n'y a pas une seconde à perdre. Toi, tu vas courir chez Bolton, tu sais, le tambour, et tu lui commanderas de ma part de battre la générale, à l'instant, partout. Tu passeras ensuite chez le capitaine Parenteau, tu lui expliqueras ce qui en est et tu le prieras de prendre la clef des pompes à la mairie, chez le concierge. Attends!… Cela fait, tu reviendras ici, atteler… Le feu au Valpinson!… J'accompagnerai les pompiers!… Allons, cours, frappe aux portes, crie au feu! On se réunira place du Marché-Neuf!…

      Et le domestique s'étantéloigné de toute la vitesse de ses jambes:

      – Quant à vous, mon brave, reprit M. Séneschal en s'adressant au paysan, enfourchez votre bête et allez rassurer monsieur de Claudieuse, qu'on ne perde pas courage, qu'on redouble d'efforts, les secours arrivent.

      Mais le paysan ne bougeait pas.

      – Avant de retourner au Valpinson, dit-il, j'ai encore une commission à faire en ville.

      – Hein! vous dites?…

      – Il faut que j'aille chercher, pour le ramener avec moi, monsieur Seignebos, le médecin…

      – Le docteur! Y a-t-il donc quelqu'un de blessé?

      – Oui, le maître, monsieur de Claudieuse.

      – L'imprudent! Il se sera jeté au danger, selon son habitude…

      – Oh, non! C'est qu'il a reçu deux coups de fusil.

      Peu s'en fallut que le maire de Sauveterre ne laissâtéchapper son bougeoir.

      – Deux coups de fusil! s'écria-t-il. Où? Quand? Comment? De qui?

      – Ah! je ne sais pas.

      – Cependant…

      – Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'on l'a porté dans une petite grange, où le feu n'était pas encore. C'est là que je l'ai vu, étendu sur une botte de paille, blanc comme un linge, les yeux fermés et tout couvert de sang.

      – Mon Dieu! serait-il donc mort?

      – Il ne l'était pas quand je suis parti.

      – Et la comtesse?

      – La dame de Claudieuse, répondit le paysan, avec un accent marqué de vénération, était dans la grange, agenouillée près de monsieur le comte, lavant ses blessures avec de l'eau fraîche. Les deux petites demoisellesétaient là aussi…

      M. Séneschal frissonnait.

      – Un crime aurait doncété commis, murmura-t-il.

      – Pour cela, oui, sûrement.

      – Par qui? Dans quel but?

      – Ah! voilà!…

      – Monsieur de Claudieuse est très emporté, c'est vrai, très violent, mais c'est le meilleur et le plus juste des hommes, tout le monde le sait.

      – Tout le monde.

      – Il n'a jamais fait que du bien dans le pays.

      – Personne n'oserait dire le contraire.

      – Quant à la comtesse…

      – Oh! fit vivement le paysan, c'est la sainte des saintes.

      Le maire essayait de conclure.

      – Le coupable, poursuivit-il, serait donc unétranger. Nous sommes infestés de vagabonds,